« Comme si entrer en politique, c’était trouver un job. Faire de la politique pour faire carrière, c’est un contresens, une trahison [p. 261]. » D’ailleurs, on croit deviner que, comme tout récit de mémoire, celui-ci commence en réalité par la fin, lorsque Gérard Delfau n’est réélu en 2008 ni comme maire ni comme sénateur. « Mes adversaires vont jusqu’à mettre en cause mon honnêteté ; un comble ! [p. 608]. » Faire passer le devoir de l’élu avant l’intérêt personnel – ce qui fut dès le début la règle absolue du sénateur – ne passe guère auprès des professionnels de la politique locaux, et quelquefois nationaux. Ils feront tout pour « se débarrasser, enfin, du parlementaire non aligné [qu’il est] » [p. 609]. « Au confort d’un retour sans gloire à la vie civile, [il] préfère l’affrontement direct avec les représentants d’une conception de la politique qu’au fond de [lui-même] il réprouve » [ibid.].
Enseignant à l’époque, les choses avaient commencé en 1965 pour Gérard Delfau de façon très simple, lors de l’élection présidentielle. Une trentaine de personnes s’étaient retrouvées à Pézenas pour soutenir François Mitterrand, et Gérard Delfau, très naturellement, y occupera une place déterminante. C’est alors que le premier contact a lieu avec le candidat qui vient rencontrer le groupe dans l’appartement des Delfau. Martine Charrier, co-autrice, raconte : « C’est ce jour-là, sans doute, que votre destin bascule. […] Les premiers succès universitaires sont à venir. Au fond, deux voies s’offrent à vous. Il faudra bien choisir » [p. 30]. La surprise vient de ce que l’entrée en politique se fait presque par hasard. Gérard Delfau essaiera de mener les choses de front, mais il sera finalement obligé de quitter un métier qu’il aimait. Il fallait donc que la politique lui apportât des satisfactions humaines « de service » encore supérieures.
Il est quasiment impossible de résumer tout le récit qui suit, tant il se révèle intense, et de manière ininterrompue. Précisons que jamais la famille de Gérard Delfau ne sera écartée des décisions prises, et son épouse jouera toujours un rôle capital dans les orientations de son mari. Il reste proche de François Mitterrand et participe au fameux congrès d’Epinay en 1971, aux décisions duquel il aura sa part. À sa suite, le futur président de la République le nomme « délégué à la Formation auprès du Premier secrétaire » [p. 77]. Il assumera ce rôle jusqu’en 1983. Dès lors, il marque son action de son style propre : « à ce poste, comme dans l’exercice de [son] mandat de maire, [il] crée une équipe de fidèles d’un dévouement à toute épreuve » [ibid.]. Il sera déchargé de cette fonction de façon fort inélégante, car son type d’engagement ne plaît pas forcément à tout le monde. Le livre expose de façon très factuelle les différents moments où certains feront tout pour l’écarter, pour finalement y parvenir en 2008. L’ouvrage expose tout du long la vigueur de l’engagement accompagnée du souci primordial du citoyen – ce qui ne fut pas du goût de tous…
Alors, l’engagement local. Avant les élections municipales de 1977, Mitterrand le convoque : « Delfau, vous ne savez rien en politique. […] Oui, tant qu’on n’est pas un élu local, on ne sait rien en politique » [p. 93]. C’est ainsi grâce au Premier secrétaire que Gérard Delfau se présente à son premier mandat électif à Saint-André-de-Sangonis, origine d’une partie de sa famille, dont il devient maire en 1977. Une importante partie de l’ouvrage raconte alors de façon absolument passionnante les rencontres, les écueils, le devoir d’imagination, les précipices côtoyés, les bonheurs partagés avec ses administrés. On a vraiment envie de devenir maire !
Cette expérience locale sera ensuite fondamentale, ainsi que le pressentait Mitterrand, pour étayer son action comme sénateur après son élection à la Chambre haute en 1980. Et l’on pourrait analyser cela dans les deux sens, puisque, si sa participation aux travaux du Sénat sera nourrie de son expérience de maire, l’inverse est tout aussi vrai dans la mesure où son mandat national éclairera d’un jour nouveau les péripéties locales. Il est probable que l’engagement fondamental de Gérard Delfau dans la défense de la laïcité aujourd’hui s’est affirmé au cours de cette double mandature. Les dangers qui menacent la démocratie républicaine lui ont alors paru ne pouvoir trouver que là une solution. Et, après avoir été évincé de ses rôles politiques traditionnels, il s’est engagé dans cette direction avec la même ferveur.
En tout cas, pour Gérard Delfau, l’intégrité du personnel politique paraît la condition de sa reconnaissance. C’est ainsi qu’il croit à la politique. « La rigueur morale des élus est la clé de la démocratie. […] Le Parlement devrait y veiller » [p. 532]. En un temps où tout devient tellement incertain dans la gestion de la cité, cette confiance totale dans l’engagement de quelques-uns pour résoudre les problèmes de tous – la « politique », après tout – cette lecture est particulièrement revigorante.
Ayez donc encore… confiance !
Didier Vanhoutte - 22 août 2020