Le Président de la République a choisi de s’attaquer au séparatisme, mot qu’il préfère à celui de communautarisme. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. L’essentiel, c’est de préserver la République au moment où la déchirure culturelle menace la paix civile.
Toute forme de communautarisme constitue un danger pour la République fondée sur le principe d’égalité en droits et en devoirs de toutes les citoyennes et de tous les citoyens quelles que soient leur sexe, leurs origines, leur couleur, leurs convictions, leurs appartenances.
C’est ce principe fondateur, arraché par la Grande Révolution au monde ancien, qu’exprimait le duc Clermont Tonnerre le 23 décembre 1789, lorsqu’il déclarait devant la représentation nationale qu’il fallait tout accorder aux juifs comme individu et rien en tant que partie du peuple.
Il voulait signifier, réflexion d’une totale actualité, qu’aucune nation particulière ne peut se constituer au sein de la grande Nation car ce serait mettre à mort la volonté générale, donc la souveraineté. Chaque citoyen est libre de ses choix qu’il s’agisse de foi, de philosophie, de politique, de sexualité, à la seule condition de se soumettre à la loi commune.
Chacun est libre de partager des affinités électives avec d’autres citoyens, de partager avec eux des rites, des recherches, des activités sportives, culturelles, sexuelles, de partager des complicités identitaires, historiques, mythologiques, affectives.
En revanche, le communautarisme, qui revendique des dérogations à la loi commune puis une adaptation des lois aux commandements religieux, menace l’unité de la Nation et la paix civile. Ce faisant, il s’en prend aux principes des Lumières, la liberté de conscience et l’autonomie de l’individu, celui-ci étant renvoyé à sa présumée communauté d’appartenance ou d’origine. C’est le retour à l’Ancien régime. Le citoyen redevient sujet d’un ordre qui le dépasse et s’impose à lui.
La culture de la République, ses principes, dans un océan de confusion, sont désormais l’objet d’une véritable guerre alors même que l’islamisme politique, dernière religion monothéiste à n’avoir pas accepté en France la séparation des églises et de l’État, nourrit une contre-culture dressée contre la République.
Il a fallu à nos ancêtres batailler fermement pour parvenir à l’égalité, au moins en droit, entre hommes et femmes, à l’école publique et laïque, au droit de changer de religion ou de n’appartenir à aucune, de les critiquer, de disposer librement de son corps, à la liberté de création.
Aujourd’hui, alors que ces principes semblaient acquis, la confusion s’est installée dans les têtes. Au moment où des femmes et des hommes de culture ou de religion musulmane se mobilisent dans leurs pays, parfois au péril de leurs vies, pour promouvoir cette laïcité qu’ils nous envient. Malheureusement, ignorants de notre richesse des intellectuels, des responsables politiques, syndicaux, de gauche comme de droite, plutôt que de faire appliquer la laïcité ont fait les yeux doux au communautarisme.
Les rapports, les enquêtes les plus sérieuses se sont succédées, du rapport Obin en 2004 à la récente publication des Territoires conquis de l’islamisme de Bernard Rougier ( Ed Puf - 2020) pour alerter des dangers que cette fracture culturelle et sociale fait peser sur la paix civile.
Depuis la Libération et le programme laïque de la Résistance, tous les Présidents de la République se sont préoccupés de laïcité, le plus souvent à son détriment. Échec du projet de constitution d’un grand système unifié d’Éducation Nationale sous François Mitterrand, abandon du projet (proposition 46 du programme du Bourget) d’inscription dans la Constitution des principes de la loi de 1905 ( articles 1 et 2) sous François Hollande, attaque frontale sous Nicolas Sarkozy qui, en proposant de moderniser la loi de séparation, s’apprêtait à la vider de son contenu essentiel.
Quel ne fut pas notre étonnement d’entendre Emmanuel Macron, Président encore fraîchement élu, envisager à son tour la perspective d’une révision de la loi de 1905 ! La mobilisation des défenseurs d’une laïcité sans qualificatif, dont une grande partie avait voté Macron pour empêcher une possible victoire de la candidate d’extrême-droite, davantage que par adhésion à son programme, contribua peut-être à faire prendre conscience du danger d’un tel projet.
Après plusieurs déclarations confuses sur le sujet, le Président vient d’exprimer sa détermination à lutter contre le communautarisme et l’islam politique. Les laïques ne peuvent que s’en réjouir. A la condition que les mesures annoncées pour mettre un terme à la montée de l’islamisme politique ne débouchent pas sur une nouvelle tentative de révision de la loi de séparation.
Qu’il s’agisse du financement de la construction de nouvelles mosquées ou de celui de la formation des imams, les réformes doivent s’inscrire dans le cadre de la loi sous peine d’ouvrir la boîte de Pandore et de réveiller les vieux démons.
On imagine dans le climat politique actuel, au vu de l’examen par les députés du projet de réforme des retraites, ce que pourrait donner un projet de révision de la loi de séparation et la voie ouverte à des amendements incontrôlables ! Favoriser l’émergence d’un Islam des Lumières ? Qui s’en plaindrait ? Mais ce n’est pas à l’État de se substituer aux fidèles pour favoriser une réforme de l’islam.
L’histoire nous rappelle combien il fut difficile aux protestants de réformer l’Église et combien aujourd’hui encore l’adversité à l’évolution demeure puissante à Rome. Combien de combats furent nécessaires pour que la société se libère des dogmes cléricaux qu’il s’agisse de la culture, des arts, des mœurs, des sciences, de la médecine. Un combat inachevé quand on pense notamment à la pression des autorités religieuses pour empêcher la reconnaissance du droit à mourir dans la dignité.
Lutter contre le communautarisme constitue une urgence, ainsi que l’écrit le député, ancien maire de Sarcelles, François Pupponi, qui en connait un rayon. Dans Les émirats de la République ( Ed Cerf- 2020 ), il démonte le processus qui a permis aux islamistes de s’installer dans les cités et désormais, nouvelle étape, de se préparer à pénétrer les conseils municipaux. Un constat saisissant qu’il faut prendre très au sérieux. A cet égard, conditionner les subventions aux associations culturelles à leur engagement de respecter les principes de laïcité va dans la bonne direction. En revanche, la proposition du député de réaliser avec les musulmans un concordat qui permettrait de financer la construction de nouvelles mosquées constituerait une terrible régression ! Avant-garde éclairée d’un projet politique porté en haut lieu ? La perspective inquiète ceux qui pensent que le concordat n’est pas l’avenir de la laïcité mais son contraire.
Lutter contre le communautarisme, requalifié ou non de séparatisme, impose d’aller beaucoup plus loin et de faire respecter les lois, en premier lieu celle de 1905. De rendre pleinement à l’école républicaine sa mission d’instruction des enfants et de préparation à la citoyenneté. Il n’est plus question de glisser la poussière sous le tapis, avait déclaré Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation Nationale, en installant le Conseil des Sages dont les travaux vont dans le bon sens. Indéniablement, là où il y a une volonté, il y a de l’espoir. Mais il convient d’aller au-delà des symboles.
Lutter contre le communautarisme exige de faire respecter la neutralité des services publics, l’égalité entre hommes et femmes dans les hôpitaux, les commissariats, l’armée, les prisons, les transports, mais aussi dans les universités, les crèches. De travailler à un statut de neutralité dans les entreprises.
Alors qu’une partie de la gauche a oublié sa laïcité et qu’une partie de la droite la découvre, sous réserve qu’elle la décline pour tous les cultes, il importe de rappeler au Président que le pays profond, dans son immense majorité, attend que la laïcité retrouve sa place centrale dans la culture républicaine. A défaut de quoi, l’extrême-droite qui a tenté une indécente OPA sur la laïcité, pourrait bien profiter de la lassitude du pays aux prochaines échéances présidentielles.
Par Patrick Kessel, Pt d’honneur du Comité Laïcité République