Agnès Perrin-Doucey L’université est le lieu où se construisent les faits scientifiques, donc les savoirs et leur transmission. De ce fait, elle est, par essence, le lieu de la parole libre, des controverses, de la pluralité des opinions qui sont autant de conditions indispensables à la construction des connaissances. Elle doit le rester si elle veut pouvoir continuer à éclairer notre société.,
De ce fait, cependant, elle n’est pas, par essence, le lieu d’une affirmation de soi, de convictions non étayées par des analyses scientifiques méthodiques, vérifiables et vérifiées, d’une argumentation sans fondement.
C’est bien en ces termes que Mario Stasi, Président de la Licra, rappelle dans un titre rendu prometteur par le jeu langagier qui affirme la profondeur du sujet, que l’université, c’est l’universalisme .
Il y a quelques semaines déjà, le Monde, dans un article intitulé La guéguerre des sociologues [1] , mettait en évidence ce combat pour la légitime exigence scientifique dont l’Université ne doit jamais se départir. Il témoignait de l’utilisation – parfois frauduleuse – d’une légitimité universitaire pour persuader l’opinion et infléchir les considérations politiques. Nathalie Heinich [2] évoquant la « dérive suicidaire » d’un pan de la sociologie française y affirmait : « Ils font du Bourdieu mal digéré. Ils sont si orientés, si habités par la culpabilité colonialiste, qu’ils ne découvrent rien, ne voient rien, ne veulent pas le voir, sont juste au chevet du parc des opprimés qu’il ne faut jamais heurter. »
Querelle de méthodes ? Querelle de chapelles ? Dérive suicidaire ?
Qu’en est-il vraiment ?
A l’heure où l’accès aux informations, comme aux faits alternatifs, ou aux théories complotistes, est libéré et totalement décomplexé, s’engagent – toujours au nom de la précieuse et indispensable liberté de paroles des chercheurs - des colloques à l’apparence scientifique trompeuse. Soutenir de telles manifestations relève de l’inconscience politique et scientifique, voire d’une volonté idéologique de dynamiter l’accès aux savoirs pour légitimer les faits alternatifs, comme la montée du racisme ou de l’antisémitisme.
Certes, interdire la prise de paroles n’est pas acceptable ; mais se taire et laisser complaisamment cette « dérive suicidaire » de la pensée s’installer au cœur de l’université, révèle au mieux l’inconscience, au pire un refus de la supériorité de la Raison sur l’opinion.
Il est donc de notre devoir d’humanistes, d’êtres doués de raison de ne pas taire ce type de dérive dogmatique. C’est ce que rappelle en substance, brillamment et avec courage, Mario Stasi dans cet article à lire comme une évidence de la pensée.
Agnès Perrin-Doucey, maître de conférences en langue et littérature françaises, Université de Montpellier.