Il semble en effet que le Président pense que, sans religion et ses cortèges de crédos, il n’est point de vie spirituelle et qu’il veuille donner une place préférentielle et même essentielle aux religions et à leurs « représentants » dans des organismes officiels. Et ses déclarations récentes pour fustiger une laïcité qui serait, d’après lui, devenue « radicale », nous désolent.
Il faut rappeler que, en France et aujourd’hui, plus de 50% de nos concitoyens sont soit athées, soit agnostiques, soit indifférents à toute religion. Cela signifie-t-il que plus de 50% des Français ne peuvent avoir de vie spirituelle ? Qu’il faille obligatoirement supposer l’existence de « vérités révélées », ou d’un « être suprême », accompagnés des rites et des dogmes d’une religion, pour devenir moral ou pour avoir une vie spirituelle ?
De telles positions choquent venant d’un président d’une République issue des Lumières, porteuse de valeurs universelles et humanistes qui transcendent ce que nous sommes et voulons être, nous les Français.
Par ailleurs, alors que nous sommes dans une République « laïque », pourquoi devrait-il s’alarmer contre la laïcité comme il l’a récemment dit [1] ? Faut-il rappeler que la laïcité est « la liberté des libertés » [2], qu’elle n’a jamais ni tué, ni fait de ségrégation, ni racisé, ni ethnicisé personne !
Par contre, depuis que Marine Le Pen a littéralement volé et violé le seul mot laïcité pour n’en faire aujourd’hui qu’une arme anti-musulman, une confusion existe. Mais faut-il que le Président, lui-même, tombe dans ce piège pour dénoncer ce rapt en utilisant le même mot qu’elle : « laïcité » ? Pour nous, Il semble agir comme celui qui critiquerait l’existence du marteau (un merveilleux outil pour construire la maison commune) parce que certains voudraient s’en servir comme d’une arme ! Dans un tel cas, ce n’est pas le marteau qu’il faut critiquer, mais la main qui le manipule !
Concernant la spiritualité et les religions, nous pensons que l’on peut parfaitement développer une vraie vie spirituelle et une morale sans le besoin d’une religion. À moins que le Président Macron ne considère l’humanisme universel comme une morale nulle et non avenue ou, au mieux, comme une spiritualité de seconde catégorie, nous pensons, au contraire, que nos pratiques morales et spirituelles valent tout à fait celles prônées et défendues par les religions (cf. Kant).
Aussi, nous demandons au Président de ne plus parler des « représentants » des religions. Ils sont, au mieux, des hauts cadres religieux (des « autorités » religieuses si on veut) ; mais, chez les chrétiens ou les musulmans, personne ne les a élus « pour les représenter ».
Il serait donc regrettable qu’il ne s’entoure que des seuls « cadres » religieux pour déterminer ce que doit être la conduite de l’État vis-à-vis des croyances et de leurs cortèges de rites, dogmes et interdits.
Il ne faut pas qu’il pense qu’eux seuls, aient la capacité de donner des conseils sur ce que doit et peut être la vie spirituelle des Français.
Il ne faut pas qu’il oublie que toute religion est basée sur un « deal » depuis des millénaires : « Si tu reconnais, à moi le religieux, mon autorité pour définir le bien et le mal et imposer mes dogmes, je te reconnaitrai, à toi le politique, le droit de gouverner à ta guise et d’imposer tes lois. Je te donnerai même, à toi « l’homme-mâle », tout droit sur la femme ».
Ce « deal », les Lumières, la Révolution, les lois républicaines ont voulu le briser. Et les lois de 1905 n’ont pas été, comme on le croit trop souvent, la seule « séparation des Églises et de l’État », mais la « séparation de la Spiritualité d’avec les Églises ». Car c’est bien ce que dit la loi de 1905 dans la première phrase du premier article : « la République assure la liberté de conscience ». La République veut donc, avant toute chose, que chaque citoyen puisse développer sa « conscience » donc sa « spiritualité », en toute liberté.
Et, dans cet objectif, ce qui en a dérivé ne sont que des conséquences et non des buts en eux-mêmes.
À savoir :
* L’État ne reconnaît aucune religion ou non-religion, il les permet donc toutes. (la laïcité est donc « la liberté des libertés »)
* Il est totalement neutre et considère donc chacun de façon égale
* Il assure l’éducation des jeunes avec un enseignement basé sur la connaissance, la raison, la sensibilité, ceci pour en faire des citoyens dotés de leur propre liberté de conscience.
Il est urgent que le Président s’entoure de républicains laïques (ce qui n’exclut nullement les croyants de tous bords) pour l’aider à déterminer ce que doit être la marche de l’État ; ceci pour rassembler, valoriser et promouvoir la citoyenneté de chacun et chacune, pour dépasser les différences, pour une France généreuse et ouverte ; et non pour n’en faire, petit à petit, une nation communautarisée, rassemblée peureusement (ou agressivement) autour de ses leaders dits « spirituels » (mais en fait politiques). Une nation où les relations intercommunautaires ne se feraient plus qu’à « arm length » [à distance de bras] comme disent les Anglais.
Nous savons que le Président Macron a l’intention de bientôt s’exprimer sur la laïcité. Il faut qu’il sache que des millions de Français, très attachés à la défense de la laïcité républicaine, vont l’écouter avec attention. Il ne doit pas les décevoir ! La grande majorité d’entre eux sont aujourd’hui ses soutiens politiques ; il doit s’appuyez- sur eux. Il ne doit pas chercher à plaire et à convaincre les 12% [3] de la population qui penseront toujours qu’il n’en fait pas assez pour eux et qui ne seront jamais une base d’électeurs fidèles pour lui !
Michel Ferreboeuf