INTRODUCTION - Didier Vanhoutte/ Respecter la diversité française, se savoir, comme tous les Français, particulier dans ses origines et ses convictions, aimer la France, et pourtant s’apercevoir que certains de ces Français vous rejettent, vous maltraitent... C’est dur de croire à cette nation dans ces conditions. Et pourtant on le veut, on en a la passion. On sait qu’on finira par y parvenir grâce à la République, grâce à la laïcité.
Un beau texte de Rachid Benzine.
Didier Vanhoutte
"Je sais, mon fils que tu es fâché. Très en colère même. Tu n’as pas besoin de m’expliquer pourquoi, je le sais. Je le vois. Je le vis. Et ça me fait un trou là, droit dans l’âme, de te voir ainsi tempêter, rouspéter, tourner en rond sans trouver la paix. J’ai beau essayer de t’en protéger, t’en éloigner, les images finissent par frayer leur chemin jusqu’à toi. Des images de violence, de haine, de racisme, difficilement supportables, qui viennent briser l’idéal d’une nation où tous sont égaux, respectés, protégés, reconnus.
A l’âge où tu essaies tant bien que mal de dessiner les contours de qui tu es, certains par leurs mots qui coulent comme un fiel brûlant, ou par leurs actes souvent impunis qui brisent des vies, viennent te rendre la tâche ardue. Tu voudrais bien, toi, croire que cette grande Dame que je t’ai appris à aimer te protège. Mais rien n’y fait : à chaque fois, tu te sens un peu plus trahi.
Je te comprends, je sais tes blessures. Un père voit tout. Et surtout, j’en ai eu moi aussi, des blessures tu sais, des béantes, des tragiques, de celles qui étouffent l’envie d’y croire, anesthésient le désir d’agir, donnent l’envie de se coucher en laissant la vie passer sans plus rien espérer.
J’avais ton âge quand j’ai commencé à battre le pavé pour exiger reconnaissance et dignité, ou à créer des associations pour que chacun puisse trouver sa place dans cette nation où l’exil de nos parents nous a greffés. J’ai, je crois comme beaucoup, tout fait pour être de ce pays, de cette langue, de cette culture, pour tenir ses exigences. Tout comme tu le fais à ton tour aujourd’hui.
On nous a dit qu’on était tous pareils
Et c’est là que le bât blesse. Tu ne devrais pas, mon fils, te poser les mêmes questions que moi à ton âge. Tu ne devrais pas te soucier de savoir si tu seras accepté, compris, aimé. Tu ne devrais pas avoir peur de lire dans le regard des autres de la méfiance, du déni, du rejet. Tu ne devrais pas te soucier de savoir comment vivre, être, t’exprimer, dans ce pays où tu es né. Te voir aux prises avec ces craintes est une douleur. On aurait tant aimé que les choses aient changé, que les promesses soient tenues.
On nous a dit qu’on était tous pareils, ceux dont le grand-père s’appelait Clovis comme ceux qui ont le bronzage éternel, ceux qui ont un Dieu et ceux qui n’en ont aucun, ceux d’en haut et ceux d’en bas, ceux qui se lèvent tôt et ceux qui traînent tard, ceux qui sont français de tête et ceux qui le sont de papier. Alors qu’il faut l’être de cœur, un point c’est tout. Mais finalement, la France, c’est un peu comme cet agent immobilier qui te montre un appartement témoin parfait, puis une fois installé, les malfaçons apparaissent. Ses principes, tiens, ils ont souvent trinqué. Elle est devenue sacrément souffreteuse notre France. Enfin, pas elle bien sûr. Mais ceux qui ne portent son nom à leur bouche que pour exclure, diviser, trembler face à l’altérité.
On lit partout que la France est en danger. Que la diversité lui ferait du tort. Et pas qu’un peu. Mais l’histoire de notre civilisation, de notre démocratie, de notre République c’est une histoire d’accueil. A bras ouverts. Pas de repli pleurnichard sur une identité supposée éternelle depuis Obélix. Et peu importe qu’on n’ait pas de récit commun, tant de mémoires se mélangent ici, l’essentiel c’est de mettre en commun nos récits, non ? Au moins essayer.
Même dans ta colère, il faut aimer la France sans réserve
Oui, essayer mon fils, même si tu as le droit d’être en colère tout comme je l’ai été parfois. J’ai beaucoup aimé la France. Je m’y suis identifié. Mais parfois, sans que je sache vraiment quand cela a commencé… juste une égratignure d’abord, une petite blessure ensuite, et aujourd’hui, de plus en plus, une fracture ouverte. Mais j’ai lutté, mon fils, pour tuer les démons du passé quand il était tellement plus tentant, plus simple, de danser avec eux. Aime-la mon fils. Même dans ta colère, il faut l’aimer sans réserve. D’un amour exigeant. Pas docile, effondré, sans colonne vertébrale.
Aime-la debout, en la regardant en face. Fièrement. Pour ce que nous devons être : libres, égaux et fraternels. Et cela demande beaucoup, beaucoup d’amour. Mon fils, tes blessures, je les accueille, je suis ton père. Mais ne les laisse jamais te définir. Je ne saurai mieux te le dire que par ces mots écrits par James Baldwin à son neveu. J’aurais aimé les trouver moi-même pour toi. Les voilà, ils sont désormais à toi :
« Tâche, s’il te plaît, de te souvenir que ce qu’ils croient, de même que ce qu’ils te font et t’obligent à supporter ne porte pas témoignage de ton infériorité mais de leur peur (…). Mais ces hommes sont tes frères, des cadets égarés. Et si le mot intégration a le moindre sens, c’est celui-ci : nous, à force d’amour, obligerons nos frères à se voir tels qu’ils sont, à cesser de fuir la réalité et à commencer à la changer.
Car tu es ici chez toi, mon ami, ne t’en laisse pas chasser. De grands hommes ont accompli ici de grandes choses et en accompliront encore.. »
Et toi aussi un jour mon fils."