Une mise au point de Laurent Laot [1], prêtre et sociologue, à propos des déclarations du ministre de l’Intérieur, lors du débat sur le projet de loi confortant les principes de la République face aux courants de religiosité politique.
Monsieur Darmanin, ministre de l’Intérieur, trouve difficilement les mots adaptés au droit public et à l’anthropologie politique. Au cours d’une émission, il a affirmé : « la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu ». Sans s’en rendre compte, il utilise le même type de langage que celui des courants qui tiennent à exprimer l’inverse, position qu’il conteste bien sûr. On retrouve le même mode de raisonnement que celui utilisé par les courants de religiosité politique.
Il délaisse un mode de raisonnement combinant laïcité et démocratie (principes de la République), à savoir un modèle de raisonnement qui consiste à penser en termes de différence entre les plans considérés (et ne relevant pas des repères supérieur/inférieur). Cela suppose une prise en compte systématique de la séparation des champs de l’existence humaine. – Dans la sphère politique où s’applique le droit public, seule « la loi des hommes », votée selon les règles démocratiques, doit non pas « prévaloir », mais tout simplement « valoir » pour tous. – Dans la sphère de la société civile où s’applique le droit privé, chacun reste libre de penser et de pratiquer.
Eventuellement, la personne estimera que la « loi de Dieu » puisse/doive prévaloir sur « la loi des hommes », à condition que ses choix ne s’avèrent pas contraires à « l’ordre public », examen qui se déroulera à posteriori et en fonction d’une classification entre délits, crimes, etc... Dommage . La cible implicitement désignée dans le projet de loi est « l’islamisme politique ». Celui-là se veut sous-entendu, sans plus de précision, alors qu’il recouvre tout un ensemble de déclinaisons. Seules, les unes sont qualifiables de « radicalisme islamique », celui au nom duquel se perpètrent des actes de terrorisme proprement dit. On peut noter le curieux oubli quasi explicite, en tout cas quasi délibérément gardé sous angle mort, du « catholicisme politique » en particulier. Lui-même, comme toutes les « religiosités » politiques en général, est aussi à plusieurs déclinaisons. Dans sa variante officielle, qualifiable également de « radicalisme », l’adjectif « moral » est à employer pour désigner sa singularité (par exemple à l’encontre du projet de loi sur la bioéthique et, dans un document du Vatican, à l’encontre des armes nucléaires). Des mots plus adéquats consisteraient à valoriser le principe selon lequel toute loi de la République, en vertu des normes du droit ne peut se vouloir qu’ordonnée à l’intérêt général, ceci étant conforme au cadre constitutionnel. La loi résulte d’un processus d’élaboration, puis de délibération ad hoc, le vote tranchant selon la règle de la majorité. Cette règle de majorité s’applique à l’organisation de la vie publique en tant que loi pour tous, car « légitimée/votée » par le Peuple via ses représentants élus. On pourrait ajouter que l’honneur et du coup la force (je dirais spirituelle) de la démocratie-et-laïcité, source d’un tel fondement normatif, résident dans le fait de ne pas empêcher l’existence et donc l’expression d’éventuels courants de religiosité politique sur l’échiquier politique, en les supposant respectueux des normes « ordinaires » fixées au regard de « l’ordre public ».
Laurent Laot 27-03-2021
Prêtre diocésain, sociologue. A enseigné l’économie politique à l’Université publique de Bretagne Occidentale à Brest. Auteur de "La laïcité, un défi mondial" aux éditions de l’Atelier.