Francis Wolff y détaille en effet à la fois toutes les caractéristiques de l’universalisme dans ses perspectives philosophiques, historiques, politiques et anthropologiques tout en affrontant avec rigueur et méthode l’ensemble de ses détracteurs. Et ils sont légion. Le culte de la différence, cette obsession identitaire dont on aurait pu imaginer qu’après la Seconde Guerre mondiale et son application paroxystique il soit définitivement disqualifié, revient au contraire en force en ce début de troisième millénaire. Il est vrai qu’après avoir été contesté par ses adversaires réactionnaires habituels de manière continue, l’héritage des Lumières est aujourd’hui attaqué, avec parfois une vigueur plus ardente, par des représentants du camp dit progressiste qui ont inventé de nouvelles identités de genre, d’orientation sexuelle, de « race » ou de religion. C’est ce qui rend l’universalisme d’autant plus fragile et qui entoure le concept d’une confusion ou d’interprétations malveillantes allant croissant.
L’Homme, Dieu et la Nature
Francis Wolff affronte donc les détracteurs de l’humanisme universaliste dans toute leur variété, des post-humanistes aux xénophobes, des intégristes religieux aux nationalistes, des communautaristes aux racialistes en passant par les nihilistes et sans oublier les dérives liées au naturo-centrisme. Car dans sa mise en perspective historique, l’auteur rappelle que l’humanisme conçu à travers l’unité du genre humain s’est construit en opposition à un ordre défini par le divin et qu’il est aujourd’hui confronté à un nouveau paradigme selon lequel l’homme deviendrait second par rapport à l’ordre naturel, une nature mythifiée, exaltée, dans laquelle l’homme est d’abord considéré comme un prédateur. Un ordre naturel dont on oublie souvent qu’il est injuste, brutal, cruel, et que l’ordre humain a eu précisément pour effet de corriger depuis quelques siècles. Les réflexions de Wolff sur les rapports de l’homme à l’animal sont particulièrement stimulantes.
La rationalité dialogique
L’auteur a aussi raison de souligner combien certains courants philosophiques, notamment français, ont eu pour objectif, plutôt efficace d’ailleurs, de déconstruire l’humanisme et de vilipender l’universalisme, et mentionne entre autres Althusser, Derrida ou Foucault. Il répond aussi à l’accusation marxiste en affirmant que la défense de l’égalité réelle n’implique pas l’abolition des droits formels. Il observe que les régimes qui contestent le caractère universel des droits humains ont tous pour caractéristique de se situer en dehors des normes démocratiques. A ceux qui récusent la Déclaration universelle des droits de l’homme au motif que, conçue par les occidentaux, elle ne pourrait concerner d’autres « civilisations », Wolff rétorque que l’origine géographique d’une idée ne l’enferme pas dans sa sphère d’invention, citant par exemple l’algèbre, né à Bagdad au IXe siècle et devenu un système conceptuel universel.
Pour Francis Wolff, c’est en mobilisant notre faculté de raisonner en communiquant -la « rationalité dialogique »- que nous pourrons redonner à l’humanisme universaliste et plus généralement à l’héritage des Lumières sa puissance mobilisatrice. Puissions-nous en avoir la volonté.
Philippe Foussier
Journaliste indépendant (Marianne, le Droit de vivre, Humanisme, ...)
Animateur de l’émission sur les livres i trema : https://www.ufal.org/baladodiffusion-laicidade-la-voix-laique-et-sociale/