Mon amie est entrée dans une épicerie avec l’intention d’acheter du lait. Le vendeur a refusé de lui vendre quoi que ce soit. « Pourquoi refusez-vous ? » a-t-elle demandé. « Je vois que vous avez du lait. » « Parce que vous portez un hijab », a répondu le vendeur.
C’est le genre de réaction véhémente à attendre de ceux qui se considèrent comme opprimés par la loi discriminatoire sur le hijab de la République islamique, qui poursuit les femmes pour ne pas « s’être dissimulées ». Le terme hijab est un mot arabe signifiant dissimulation. Il est utilisé pour désigner différents types de vêtements, allant d’un manteau à manches longues, d’un pantalon et d’une écharpe à la forme de robe préférée du gouvernement islamique, le tchador, qui est un tissu noir ample porté sur tout le corps.
Après le meurtre de Mahsa Amini en septembre, des manifestations monstres se sont déclenchées contre cette loi et son application.
Le port du hijab est devenu obligatoire pour toutes les Iraniennes à partir d’avril 1983, après la révolution de 1979. Depuis lors, toutes les femmes ont été contraintes par la loi de porter le hijab (dissimulation des cheveux et/ou du corps) en public, même les non-musulmanes et les étrangères en visite en Iran. Si elles ne le font pas, elles s’exposent à des poursuites.
Le gouvernement iranien, celui de la République islamique, soutient que Dieu ordonne aux femmes de porter le hijab. Il s’agit d’un gouvernement dont les dirigeants sont membres du clergé et ont intégré les croyances religieuses dans la législation de l’État. Mais même certains érudits islamiques soutiennent que le Coran n’indique pas que le hijab est obligatoire.
Le cas de Mahsa Amini polarise l’Iran : ceux qui prônent le port rigoureux du hijab et l’application de la loi religieuse sont opposés à ceux qui préfèrent un État laïc, non dirigé selon des valeurs religieuses.
Cela a conduit le pays au soulèvement présent, avec des manifestations énormes partout en Iran, causant de nombreuses morts.
Lors de nombre de ces manifestations, on entend le chant de la résistance iranienne, Zan, Zendegi, Azadi (#WomenLifeFreedom). Les manifestants demandent que vie et liberté soient pour tous (religieux et non religieux). Ces manifestations sont largement inspirées par la contestation du fait que la loi religieuse actuelle prive les femmes du droit de choisir comment se vêtir.
Qu’est-ce que la laïcité ?
La laïcité, c’est l’idée que les États doivent être neutres en ce qui concerne la religion. L’État ne devrait pas privilégier une religion particulière par rapport aux autres. Un État laïque offre des perspectives égales pour mener leur vie aux citoyens religieux et non religieux. L’État doit respecter les valeurs de tous (y compris celles des minorités), et pas seulement celles de certains.
La laïcité semble raisonnable à beaucoup parce qu’il est inhabituel pour une nation entière de prendre une religion unique comme source du droit. Certains savants musulmans ne sont pas d’accord avec l’interprétation établie par la République islamique selon laquelle Dieu a ordonné le port du hijab. A la suite de quoi ils affirment que le hijab ne revient pas à dissimuler les cheveux, mais à être « pudique ». D’autres contestent la manière dont la police des mœurs traite les femmes dans la rue.
Alors que certains pourraient s’insurger contre le fait que les femmes soient obligées de porter le hijab, d’autres sont toujours en faveur de son port constant. Des rapports indiquent que les autorités iraniennes ont fermé certains cafés en raison du hijab « inapproprié » de certaines clientes. Et plus récemment, une femme a été arrêtée pour avoir pris son petit déjeuner sans hijab dans un café.
Histoire de la laïcité en Iran
Les débats d’aujourd’hui sur la laïcité en Iran nous ramènent à la révolution constitutionnelle de 1906. Elle prônait le libéralisme et la laïcité et a conduit à des échanges sur une société sans règles religieuses pour tous.
Les Iraniens ont connu une laïcisation forcée peu de temps après le couronnement de Reza Shah Pahlavi en 1925. En 1936, il a publié un décret, Kashf-e hijab, selon lequel toute expression publique de la foi religieuse, y compris le port du hijab, était illégale. Encore une fois, c’était un chef qui disait aux femmes quoi porter. Cependant, sa tentative de laïciser et d’occidentaliser l’Iran de manière autoritaire s’est heurtée à la résistance de la société. Le renversement de la dynastie Pahlavi en 1979 a conduit à la mise en place d’un gouvernement islamique militant fondé sur la doctrine musulmane chiite. Après que le port du hijab fut exigé, il est devenu le symbole d’une foi obligatoire. Il a également joué un rôle significatif en poussant certains pans de la population iranienne vers un État plus laïque.
En 2022, l’Iran connaît des changements spectaculaires, y compris ce qui semble être un virage vers la laïcité. Certains soutiennent que la laïcité est un ennemi de la religion ou un produit de la colonisation occidentale. Bien que la majorité des Iraniens se considèrent croyants, certaines preuves démontrent que les Iraniens le sont moins qu’autrefois.
Depuis la révolution islamique, de nombreuses recherches ont été menées sur la manière dont l’Iran pourrait fonctionner en tant que société laïque, ainsi que sur sa tolérance religieuse.
Le mouvement de protestation actuel, principalement mené par la génération Z en Iran, se développe en partie grâce à son utilisation d’Internet et des médias sociaux pour communiquer et partager des informations. On peut également prendre connaissance des expériences laïques d’autres pays par le biais des médias sociaux. C’est pourquoi le régime bloque Internet et censure YouTube, Instagram et Twitter.
Un sondage indique que plus de 60% des Iraniens veulent maintenant un État non religieux. La question est de savoir si ceux qui sont au pouvoir sont prêts à le leur accorder.
Traduction de Didier Vanhoutte
31 octobre 2022