Merci à Louis Aragon de l’avoir proclamé. Oui mais… Peut-elle attendre – souvent inutilement – que cet homme veuille bien lui octroyer ce que la simple justice lui doit, ou faut-il qu’elle se batte pour l’obtenir ?
Depuis les personnages que nous livre le théâtre grec, telle la Lysistrata d’Aristophane ou l’Antigone de Sophocle, jusqu’aux Suffragettes qui, dans la douleur, finiront Outre-Manche par obtenir le droit de vote, depuis la condamnation de Jeanne d’Arc jusqu’au combat de Simone Veil, rien n’ira jamais de soi. Et ce qui est acquis semble devoir être sans cesse rappelé.
Les femmes occidentales sont-elles les seules à faire preuve de l’audace nécessaire pour mener un tel combat ? Assurément, non ! Il faut, à cet égard, lire l’article du Monde du 13 mars 2018 qui rend compte de la manifestation de 2000 personnes à Tunis le 10 mars dernier (voir le document joint) pour demander l’égalité entre hommes et femmes en matière de droits de succession.
Le lecteur peu averti peut cependant croire qu’il s’agit là d’un réveil récent. Il n’en est rien. Le Monde rappelle à juste titre que, lors du « printemps arabe », né précisément en Tunisie il y a sept ans, les femmes s’étaient déjà opposées sur ce sujet de façon directe à Ennahda, le parti religieux qui exerça le pouvoir sans partage entre 2011 et 2014. On a tendance aujourd’hui à minimiser le fondamentalisme de cette mouvance et de son chef Rached Ghannouchi, dont la volonté « modérée » reste aujourd’hui contestée par les femmes tunisiennes engagées.
Alya Chammari ne déclarait-elle pas en mars 2011 : « Il se pourrait que nous soyons le premier pays du Sud de population majoritairement musulmane à instaurer une vraie démocratie, fondée sur l’égalité hommes-femmes, fondée sur une justice sociale, économique et judiciaire. » [1] Dès 2011, d’ailleurs, la question de l’héritage était au cœur de leurs revendications : « Après le 8 mars [2011], quand nous avons demandé l’égalité dans les successions et le droit pour les femmes tunisiennes d’épouser des non-musulmans, ils ont montré leur vrai visage en refusant toutes ces propositions. » [2]. Elle ajoutait, lorsqu’il lui était demandé s’il était envisageable que les fondamentalistes acceptent un jour une Constitution laïque : « Non, ils hurleraient à l’athéisme et nous accuseraient d’être des hérétiques. » C’est donc bien la question de la charia qui était (est toujours ?) posée. Ghannouchi ajoutait, selon la presse locale de l’époque : « Ils [les Tunisiens] ne sont pas encore prêts à aller plus loin. […] Le temps viendra où les Tunisiens verront la charia sous un meilleur éclairage. »
Dès mars 2011, donc immédiatement après le début du soulèvement tunisien, l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates) a tenu un congrès sans précédent pour l’égalité et la citoyenneté, et elles ont été un millier à débattre des moyens de protéger et de faire évoluer leurs droits dans la Tunisie révolutionnaire. À l’ère Bourguiba, le droit à l’avortement avait été acquis en 1965, et de nombreuses professions avaient été ouvertes aux femmes, en particulier celles de juge et d’avocat. Nadia Hakimi, directrice exécutive de l’ATFD tient à rappeler combien l’organisation a dû lutter pour s’attaquer à la dictature et au patriarcat. Ce sont ces conquêtes qui sont aujourd’hui en danger dans le pays, sans parler d’évolutions qu’elles sont nombreuses à souhaiter, en particulier en ce qui concerne les lois successorales toujours en vigueur. Il faudrait aussi évoquer le combat que mène Faouzia Charfi en faveur d’une conception de la Science libérée des dogmes du Coran. Physicienne de renom, ancienne Secrétaire d’État, lors de la Révolution de Jasmin, en 2011, elle parcourt l’Europe autour de son dernier livre : Sacrées questions…Pour un islam d’aujourd’hui (Odile Jacob, 2017). Bien d’autres militantes encore que nous ne pouvons pas citer.
Il est clair que la laïcité est l’une des conditions pour obtenir de réels progrès dans tous ces pays soumis à la loi religieuse. Alya Chammari et Bochra Belhadj Hmida, toutes deux avocates veulent, par-dessus tout, « la séparation de la religion et de la loi ». La seconde stipule qu’elle veut que l’égalité hommes-femmes soit écrite noir sur blanc dans les textes. Tant d’autres femmes vivant dans des pays musulmans se mettent en danger pour demander que ces droits entrent dans les faits. Leur héroïsme est total, et elles le payent parfois de leur vie.
Didier Vanhoutte