L’Amicale laïque de Concarneau
Née en 1939, l’Amicale est une association loi 1901 de type « éducation populaire ».
Depuis sa création, elle entend permettre à tout citoyen d’accéder à diverses activités de son choix. Après-guerre, elle créera un bagad pour l’initiation des enfants à la musique (bagad : ensemble de cornemuses, de bombardes et de tambours), une activité sportive pour les jeunes filles : la gymnastique, puis ce sera le canoë, le tennis de table ...
Elle organisera le transport scolaire, permettra aux femmes de « s’échapper du foyer » par la gymnastique volontaire (les séances étaient fixées délibérément aux heures de préparation des repas, et le sont toujours)…, initiera au dessin, aux arts plastiques, à la poterie, mettra la voile, le ski et l’équitation à portée de tous, organisera chaque année la kermesse des écoles publiques, innovera avec les voyages pour les anciens, lancera l’activité handball …
Le ressort de l’Amicale : le bénévolat. Une devise : « Acteur plutôt que consommateur »
En 1960, la municipalité demandera au bagad [1] de participer à l’accueil de De Gaulle en visite dans la ville. Ses responsables refuseront. La loi Debré n’avait que quelques mois et les amicalistes avaient été très actifs dans la collecte de signatures s’y opposant (pour mémoire : 10 813 697 au niveau national). La réaction du maire fut vigoureuse.
L’initiative « Laïcité »
Nous sommes en conseil d’administration fin 2002 et pointe à l’horizon la perspective du centenaire de la loi de Séparation. Nous savons que nous serons interpellés, sollicités peut-être. Nous devons nous y préparer.
Il nous appartiendra au moins d’en rappeler les enjeux, les fondements. Ce que nous observons depuis des années, c’est qu’à tous niveaux nombre de nos responsables politiques ont tendance à « oublier » qu’ils sont des élus d’une république institutionnellement laïque.
Surgit alors une interrogation, en miroir :
« Et nous-mêmes, question « laïcité », où en sommes-nous ? »
Proposition est faite de produire un écrit, un texte simple qui aurait deux vocations :
- servir de support pour nos réflexions et nos décisions, en interne
- constituer un référent commun pour chacun d’entre nous lors de nos communications externes. L’affaire de 2-3 réunions.
18 ans plus tard, nos travaux se poursuivent. Que s’est-il passé ?
Lors de ce même conseil d’administration (8.11.02), chaque membre a été invité à participer à la rédaction du document.
Secrétaire, infirmière, employé de marée, enseignant, comptable, mécanicien … se sont réunis.
Aussitôt de multiples questions ont surgi. La laïcité : quelle définition ? Les textes de lois : que disent-ils précisément ? De quels courants de pensée, de quelle(s) histoire (s) sont-ils l’aboutissement ? Sur quels points d’appui sont-ils bâtis ? Ont-ils été modifiés ? Sont-ils encore en évolution ? …
Quel peut être le rôle des associations sur ce sujet ? Quel cadre, quelles limites devons-nous nous donner ?
Là, la réponse a fusé : « La laïcité concerne tous les secteurs de notre organisation sociale ! ». Un travail plus important que prévu s’annonçait … Manifestement il nous fallait approfondir la question. Mais quelle règle adopter ?
« Et si nous commencions par mutualiser nos savoirs respectifs ? »
Ainsi se sont engagés nos travaux. La règle proposée : chacun (e) se choisit un thème en lien avec la laïcité, prépare un court exposé (20 mn, rarement respectées), le présente au groupe … et nous prenons le temps d’en débattre.
Une curiosité est née, le plaisir de l’échange aussi. Souvent nous faisions référence à l’actualité, au point que, rapidement, un temps de réunion a dû être dévolu spécifiquement aux « questions d’actualité », sur le mode information-discussion.
Les années passant, du plaisir de débattre émergea l’idée de partager. Nous étions prêts à aller vers les autres. Ce fut la création d’un site Internet d’abord : laicite-aujourdhui.fr. Ce sera ensuite l’animation de nombreuses soirées citoyennes.
Au travail
Théoriquement, par où commencer ?
Les textes de loi : ils sont incontournables, et la loi de 1905 en priorité : que dit-elle exactement ? « Je prends les articles 1 et 2 ! », lance aussitôt Jean qui nous avait rapidement rejoints [2]. Les articles suivants furent répartis entre les présents et successivement étudiés.
La suite n’a été que rebonds successifs et le groupe a cheminé au gré des choix de chacun (e), nous replongeant tantôt dans la philosophie, le droit ou l’histoire, notre histoire locale parfois.
Quelques exemples :
P. se questionne : « Comment l’avènement de la loi de 1905 a-t-il été vécu, à notre porte, par la population concarnoise ? ». Nous nous sommes rapprochés des archives municipales et départementales. La réponse fut ordinaire : un peu comme partout ailleurs : il a fallu un temps d’adaptation. Par contre, précédemment, en 1902, lors des expulsions ... [3]
H. entend les propos du Pape et ceux du Président de la République se référant aux USA pour parler laïcité ; il est interloqué et réagit : « Je vais aller voir comment la question des rapports religion/pouvoir y est appréhendée. » [4]
R. nous rejoint. Ancien directeur d’un lycée catholique, fort de 5 années de théologie, il était capable de nous dire : « Là, vous faites fausse route. Je vais devoir vous indiquer comment, selon la Bible - ou selon la hiérarchie catholique -, ce sujet est appréhendé. ». Et nous avions droit à un moment de théologie … Il répétait : « Surtout ne vous retenez pas à me critiquer ! ça me permet de progresser dans ma foi. »
Peu de temps après, c’est F. qui arrive, veste de cuir et casque au bras. Il se présente : « Je suis ancien secrétaire de l’Observatoire chrétien de la laïcité. » (Nul ne savait que cet observatoire existait !). De sa voix puissante, ses interventions commençaient ainsi : « Je sais qu’ici il y en a certains qui ne pensent pas comme moi, mais vous allez quand même m’écouter ! »
Deux chrétiens très engagés, porteurs de la laïcité, d’une manière bien différente de la nôtre. Ils nous ont beaucoup apporté, surpris parfois. Entre autres choses, ils osaient dire ce que nous, nous nous retenions de dire !
Il est arrivé que les débats prennent une forme de joute : à l’exposé de P. « La laïcité, un havre de paix pour le croyant », J. réplique dès le mois suivant : « La laïcité, un havre de paix pour le non-croyant » [5] [6]
Nous avons été sollicités au sujet des cérémonies d’obsèques. Ce fut l’occasion d’une réflexion nouvelle, sensible, menée avec l’appui d’un intervenant [7] [8]
Quelques mots de J.P. Sakoun saisis par M. : « indivisible, laïque, démocratique et sociale » et elle nous éclaire sur le comment a été pensé notre modèle républicain. [9]
Plusieurs fois nous avions remarqué des textes émanant de francs-maçons. Notre cycle « Liberté de conscience » [10] a été l’occasion d’en solliciter un. Il nous a présenté un déroulé historique et philosophique du plus grand intérêt [11].
La question de l’Islam : un sujet incontournable depuis quelques années. Il nous fallait appréhender : c’est Yvette s’y était attelée. Elle nous a fait pénétrer dans un monde d’une complexité que nous ne soupçonnions pas.
Mj nous interpelle : « Vous connaissez Al Rawandi ? ». Nous voilà à Bagdad au 9ème siècle, avec les mu’tazilites, Al Mamoun, et peut-être cette culture que l’on désigne aujourd’hui comme l’Islam des Lumières. [12]
Nous apprenons que F. (pongiste émérite dans la section voisine de l’Amicale) est le fils d’un dignitaire religieux musulman turc. « Pourrais-tu venir nous éclairer sur ce qui se passe dans le nord de la Syrie ? » « Volontiers … Et nous parlerons des alévis ». Une grande découverte. [13]
N. pose cette interrogation : comment les constitutions successives ont-elles pris en compte les religions ? Et nous voilà revenus à l’étude des législations successives. [14]
Nos temps forts partagés
2005 : Le centenaire de la loi de Séparation [15]
Que sommes-nous capables d’initier pour célébrer cet anniversaire ? Ce furent :
Trois conférences publiques au Centre des Arts et de la Culture :
- A. Geistdoerfer, scientifique, féministe : La laïcité et la condition féminine
- M. Lucas, docteur en histoire : Application de la loi de Séparation des Eglises et
de l’Etat dans le Finistère, en 1905 - B. Berest, ancien prieur de l’abbaye de Bocquen : Laïcité, valeur universelle pour le 21ème siècle
Des interventions dans les lycées-collèges, avec distribution d’un objet souvenir (un stylo), une exposition qui a circulé dans une vingtaine de communes, la création d’une bibliothèque pour le groupe, la mise en route de recherches historiques, une suggestion reprise par Député-Maire : planter un arbre de la laïcité (Il sera brisé quelques mois plus tard, remplacé, puis vandalisé à deux reprises. Il deviendra néanmoins, au fil des années, un lieu de recueillement laïque.)
Le concours, en 2006 :
La MAIF invite H. Pena-Ruiz à Brest. Où se passe la conférence ? Coup d’œil sur le site. Tiens ! Un concours national est organisé conjointement avec la MGEN et la CASDEN, … et il correspond exactement à nos initiatives pour le centenaire de la loi de 1905 ! Information en est faite au groupe. Une réponse fuse : « Nous sommes obligés de gagner ! »
Et ce fut le cas. Un grand moment à la Halle aux Grains, à Blois, ce 12 octobre. [16]
Les célébrations locales de la loi de 1905, chaque année, depuis 2008 :
- Un rassemblement au pied de l’arbre de la laïcité, avec des élus, des enfants
des écoles, des citoyens soucieux de laïcité … l’occasion d’un rappel régulier de
l’importance de nos principes républicains - Des conférences publiques gratuites, à la M.J.C. Le Sterenn, dans le cadre de ses soirées citoyennes. Les thèmes seront établis à la fois à destination d’un grand public et dans la continuité de nos travaux en cours.
Se sont succédés Henri PENA-RUIZ, Bernard TEPER, Erik NEVEU, Ahmed DJEBBAR, Monique CABOTTE-CARILLON, Martine CERF, Gérard DELFAU, Philippe CORMONT, Charles ARAMBOUROU, Thierry MESNY, la Compagnie de théâtre MONALUNA.
Charlie :
Avec la L.D.H. locale, nous avons spontanément organisé un rassemblement le jeudi (60 personnes attendues ; 1200 présentes) et rebondi par l’idée d’un défilé le dimanche (2000 personnes attendues ; plus de 7000 présentes, du jamais vu à Concarneau). [17]
Les interviews pour Radio Sterenn [18] [19] Ou [20] (« Laïcité », puis « Racismes, racisme »)
L’assassinat de S. Paty :
Un hommage au pied de l’Arbre de la laïcité, en complément de la cérémonie officielle. [21]
Quelques initiatives
- Des chartes en direction des candidats aux élections, des courriers aux élus
- Des questions adressées à l’Observatoire national (loi Debré), au président de
Région (loi Astier), … - Des interventions personnalisées (N.) auprès de responsables institutionnels
- Des interventions en collèges et lycées, … des animations de soirées à la
demande d’associations (DDEN, amicales laïques voisines …) - Une intervention au colloque de l’association EGALE au Sénat
Ce que les débats nous ont apporté
Lorsque nous tentons un bilan d’étape, la plupart d’entre nous disent :
- avoir beaucoup approfondi leur approche personnelle de la laïcité
- avoir saisi l’importance d’en débattre
- avoir réalisé combien ils étaient, sans en avoir véritablement conscience,
imprégnés de l’environnement religieux de leur enfance et adolescence - avoir réalisé l’importance première de la maîtrise du vocabulaire sur un sujet
aussi délicat et sensible. - avoir pris plaisir dans les découvertes successives tant historiques (Luther,
Erasme, Zwingli, Calvin …), que philosophiques (Condorcet, Léon Bourgeois,
Jean Bodin, Diderot …) ou juridiques (même si là …) - avoir réalisé l’importance du principe de laïcité pour faire société … et combien
il était facteur de paix - avoir été conforté dans l’idée qu’au-delà des parents, le rôle de l’école, puis
des associations d’éducation populaire, était fondamental dans l’acquisition des
principes républicains - avoir perçu la complémentarité des lois de 1881, 1901 et 1905 et combien ce
triptyque plus que centenaire est cohérent et efficient - avoir découvert la complexité de la religion islamique, et Al Mamun, les
Mutazilites, les Alévis … - avoir réalisé, sur une durée de plus de 15 ans, combien la laïcité était présente
dans notre actualité nationale, chaque semaine : nos débats n’ont jamais
manqué de grain à moudre ! - mieux appréhender désormais le contexte international, au Proche Orient en
particulier (même si …) - avoir bien perçu que croyance religieuse et laïcité n’étaient pas antinomiques,
et que c’était bien l’exploitation politique de la religion qui posait difficulté. C’était bien une loi de séparation qui était nécessaire !
Les difficultés rencontrées
- par les nouveaux arrivants : la difficulté de « prendre le train en marche »
- l’isolement : se sentir plutôt seuls sur le sujet, tout au bout de la France
- le peu de sollicitations (à nos yeux) de la part des établissements scolaires : ils
pourraient davantage exploiter cette ressource locale - l’éloignement des plus jeunes, préoccupés par d’autres sujets, à juste titre
probablement
Pour nous tous, cette aventure humaine se poursuit, ponctuée de rencontres de toutes sortes, pleines d’humanité, des rencontres citoyennes, que nous n’aurions certainement pas effectuées sans l’initiative de départ.
Au-delà des approches singulières, nos échanges et nos recherches font apparaître, de manière parfois surprenante, une convergence de vue chez tous ceux qui, sans a priori, cherchent à approfondir la question de la laïcité.
Nous voulions rédiger un document. Nous avons jugé plus judicieux d’inviter chacun à la réflexion.
Nous avons de brillants prédécesseurs : appliquons fermement ce qu’ils nous ont légué, à commencer par les principes fondateurs de notre modèle républicain et leur caractère universel.
Le travail n’a pas manqué ; nous a ré-ouvert de multiples questions.
En tant que citoyens, nous avons réalisé combien, au fil de nos approches, ce travail était un passage important pour percevoir correctement les enjeux de la laïcité et pour se les approprier.
Nous avons aussi réalisé que ce travail ne sera jamais terminé …
« C’est quand la prochaine réunion ? »
Par Pierre Bleuzen au nom du groupe de réflexion Laïcité Aujourd’hui.