La prétendue crise de l’École n’est pas son échec généralisé. Elle sert surtout d’alibi à une mutation du système éducatif par la concurrence et par le marché. À la clef, un transfert de l’institution publique vers le fonctionnement contractuel des établissements d’enseignement privés, exhibés comme plus performants.
On ne saurait réduire la question de la laïcité à celle de l’École, pour autant l’en exclure, maintenant, est un piège pour la République. Pire, un reniement.
En restant muets sur le dualisme scolaire, institué par la loi Debré du 31 décembre 1959, les gouvernements successifs n’ont-ils pas oublié qu’ils n’ont de devoirs constitutionnels que vis-à-vis du Service public laïque d’éducation ? En conférant, à des établissements privés confessionnels et communautaires, à « caractère propre », un prétendu statut d’établissements publics on institue un double amalgame public et privé, laïque et confessionnel.
Consentir à des renoncements à géométrie variable aggrave aujourd’hui la mise en cause non seulement de la lettre mais aussi de l’esprit de la loi fondatrice de la liberté de conscience dite de « séparation des Églises et de l’État ». La laïcité appliquée aujourd’hui pour ce qu’elle est, un principe fondamental, global, constitutionnel, juridique et politique, retrouverait le soutien du plus grand nombre des citoyens, écarterait les partis ou organisations qui la travestissent et l’instrumentalisent pour séparer voire pour exclure, et rassemblerait pour rétablir la République.
L’École est, depuis soixante ans, le champ de bataille sournois de cette guerre silencieuse menée, aujourd’hui, sans aucune opposition politique. Ainsi, alors que l’Éducation nationale subit, à certains moments, des rigueurs budgétaires inégalées, les établissements privés sous contrat financé par l’État attirent de plus en plus de faveurs gouvernementales. L’offensive tous azimuts s’appuie sur les louanges ministérielles dressées au privé à l’occasion, désormais, de l’une de rituelles visites de rentrée des ministres dont ils réservent le privilège à des établissements privés. Attendons notre rentrée à venir.
Prétendre, pour des établissements confessionnels, « faire partie du service public », sans la laïcité, procède d’une vision théocratique qui méprise la liberté de conscience des futurs citoyens et ignore la nécessaire neutralité de l’État seule capable de respecter l’égalité de toutes et tous. Toute démarche « pluraliste », financée par la puissance publique, contre son institution publique, préfigure une logique d’organisation du système scolaire et de la société, sur un mode communautariste. L’Éducation par l’École laïque ouverte à toutes et tous procède d’une éthique politique du lien social au quotidien d’un vivre et faire ensemble, pour ces jeunes citoyens en devenir appelés à accéder à l’autonomie, à l’esprit critique dans le respect de leur liberté de conscience.
Cette prétention illégitime de l’enseignement privé, à incarner et concurrencer le service public, au nom d’une pseudo « parité » asymétrique fondée sur « sa liberté » d’entreprise, et malgré son allégeance confessionnelle, conduit l’État, d’étapes en étapes, à sacrifier l’École publique laïque, dont il a constitutionnellement la charge pour déployer une stratégie libérale au long cours. Financer et ériger la concurrence en principe, invalider les principes fondateurs, gérer les établissements comme des entreprises revient à privatiser le service public.
Institution, l’École publique laïque fait prévaloir ce qui unit sur le séparatisme scolaire, financé et institutionnalisé par la puissance publique qui divise délibérément contre ses propres principes républicains.
Eddy Khaldi