Victor Hugo tonne contre la loi Falloux– 1850-PAGE 2/3

, par Gérard DELFAU

Texte complémentaire du chapitre 3 de l’ouvrage. L’Harmattan, 2015, p.47 : La IIIème République, âge d’or de l’école publique et de la laïcité. (1879-1905).

ces « établissements libres » avec l’école publique. De ce moment-là date la bataille sémantique sur l’utilisation de l’épithète « libre » accolée à un établissement scolaire étroitement dépendant de l’Église et du droit canonique… Et elle est loin d’être gagnée.

S’agissant du second degré, la loi Falloux confirme la liberté d’ouverture des collèges, sans autre contrôle de l’État que celui portant sur les questions d’hygiène. Les Jésuites s’engouffrent dans cette brèche et, simultanément, les petits séminaires dépendants des évêchés se multiplient, grâce aux facilités financières octroyées par le Concordat. Enfin, l’Article 69, toujours d’actualité, offre la possibilité d’un financement de l’enseignement privé par l’argent public : « Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’État un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder un dixième des dépenses annuelles de l’établissement. » Cette disposition n’a pas cessé depuis de nourrir un contentieux. Elle a été directement à l’origine de la loi Debré (1959). Elle a inspiré la loi Balladur–Bayrou du 21 janvier 1994, dont l’Article deux, relatif aux subventions à l’investissement par les collectivités, a été annulé par le Conseil constitutionnel, après une manifestation populaire d’une ampleur historique.

Il fallait cet exposé succinct pour faire comprendre l’enjeu du débat à l’Assemblée nationale, et l’indignation de Victor Hugo, le principal intervenant de la gauche. Le poète entré en politique ne se perd pas dans une discussion technique. Il ne prend pas la peine, non plus, de souligner l’ampleur de la rupture qu’introduit ce texte de loi par rapport aux initiatives de la Révolution, mais aussi de l’Empire, pour borner l’emprise de l’Église sur la jeunesse.

Il va d’emblée à l’essentiel, à « l’idéal », comme il le dit lui-même, en exposant avec lyrisme le projet d’une école obligatoire et gratuite, libre de toute influence, s’élevant de l’enseignement de base à l’université : « Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au Collège de France, plus haut encore jusqu’à l’Institut de France.

Les portes de la science grandes ouvertes à toutes les intelligences. Partout où il y a champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. » Et, soucieux de marteler son message, il poursuit : « Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté (…), un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels lycées, gymnases, collèges, chaires, bibliothèques, mêlant leur rayonnement sur la surface du pays, éveillant partout les aptitudes et échauffant partout les vocations. » Avant de conclure cet exorde sublime, il a cette formule : « le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau la France. (Longs applaudissements) ».

De cette évocation, retenons que l’enseignement qu’il appelle de ses vœux est public, à la charge de l’État et sous son contrôle. Les Églises n’y ont aucune place. L’indépendance d’esprit en est la règle. L’indépendance d’esprit en est la règle. L’ambition intellectuelle qui le sous-tend est immense, et si conforme à la générosité de celui qui parle. Telle est l’école laïque idéale, dont la IIIe République posera les fondements. Mais, pour l’heure, la nation n’en est pas là. Victor Hugo sait bien ce que sa description a d’irréaliste au regard de la situation. Il le reconnaît. Bien plus, il prédit le pire, si le projet de loi Falloux est voté. Il en expose les conséquences : l’embrigadement de la jeunesse, le recul des idées démocratiques. S’il concède au camp d’en face le droit d’ouvrir des établissements, au nom de la liberté d’enseignement, il veut encadrer cette faculté et, surtout, éviter l’intrusion du clergé dans le fonctionnement de l’école publique. Cette double préoccupation le conduit à exprimer, sans doute pour la première fois à la Chambre, le principe de laïcité, et sa condition : la « Séparation ». Pour cela, il en appelle au rôle de l’État : « Je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement ; mais je veux la surveillance de l’État », « une surveillance effective », sous le contrôle d’un État neutre. Il en déduit logiquement que « ni les évêques, ni les délégués des évêques » n’ont leur place dans les instances qui, au nom de la nation, orientent le développement de l’instruction publique. Et il résume ainsi sa position : « Je repousse votre loi. Je la repousse parce qu’elle confisque l’enseignement primaire, parce qu’elle dégrade l’enseignement secondaire, par ce quelle abaisse le niveau de la science, parce qu’elle diminue mon pays. (Sensation.) »Il aurait pu en rester là, limiter son propos à l’école...

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