Pour étendre son emprise en Europe, l’islam radical dispose d’un porte-parole habile et brillant, Tariq Ramadan, petit-fils d’Hassan el Banna, fondateur des Frères musulmans, en Égypte, dans les années 1920. De nationalité suisse, installé à Bruxelles, il multiplie les articles et les livres, participe à maints colloques ou commissions, notamment au Parlement européen. Il s’est fait une spécialité, celle du double-langage et des demi-vérités.
Il n’a pas son pareil pour désapprouver mollement les crimes commis au nom de l’islam, regretter les excès, tout en trouvant à chaque fois une atténuation ou une justification aux pires dérives. Ainsi, pressé de condamner cette abomination qu’est la lapidation d’une femme, accusée d’adultère, par une foule hystérique, il s’y est toujours refusé. Tout au plus a-t-il concédé que les dignitaires religieux des grandes mosquées devraient recommander un « moratoire » à cette pratique barbare.
Une façon d’avaliser cette pratique… De même, il a une position ambigüe à l’égard de l’homosexualité, reprenant à son compte, avec mille précautions oratoires, la condamnation de l’islam, mais surtout évitant de se prononcer sur les violations du droit, et parfois la répression, dont ces hommes et ces femmes sont victimes dans un certain nombre de pays musulmans. Deux attitudes qui devraient conduire les militants de droits de l’homme à le juger infréquentable. Enfin, dernière illustration de sa casuistique : dans un entretien accordé le 28 septembre 2014 à la RTS (Radio Télévision Suisse), il condamne le soi-disant l’État islamique.
Il affirme que l’on ne doit pas assimiler cette organisation à l’islam. Jusque-là on peut le suivre. Mais il ajoute, dans un langage emberlificoté : « Le Qatar ou l’Arabie Saoudite financent surtout des groupements salafistes qui sont en amont de ce qui peut par la suite entrainer la dérive vers la violence »… Une superbe dérobade, ou l’art de défausser de leurs responsabilités les monarchies du Golfe, qui, jusqu’en 2014, ont alimenté en armes et en argent ces groupes terroristes, avant de prendre leurs distances pour des raisons de rivalité internes avec l’Iran et la branche chiite de l’islam. Tariq Ramadan ne veut surtout pas se fâcher avec les chefs de file du Wahhabisme, financeurs de la diffusion d’une conception fondamentaliste de l’islam en Europe, et, sans doute, mécènes de ses propres activités.
Caroline Fourest, dans son ouvrage Frère Tariq avait démonté, dès 2004, l’artifice de sa rhétorique, au prix d’un travail considérable de dépouillement de ses écrits. Depuis, elle ne cesse d’être prise à partie, y compris par une certaine gauche ; elle est régulièrement victime de tentatives pour l’empêcher de s’exprimer. A l’Université Libre de Bruxelles, elle a même été menacée physiquement par des islamistes [1]. Pourtant, elle poursuit courageusement son combat. En revanche, un certain nombre de personnalités et d’associations de gauche et d’extrême gauche continuent à entretenir des relations officielles avec Tariq Ramadan, à participer à ses conférences en France, parfois même à l’inviter à leurs manifestations. C’est incompréhensible pour des associations attachées aux libertés individuelles ; c’est dangereux pour la liberté d’expression, et méprisant pour les femmes et les minorités sexuelles.
Ces comportements me font penser à cet évêque de Fréjus, Mgr Rey, qui, durant l’été 2015, a invité la députée FN, Marion Maréchal-Le Pen, à une table ronde, où il était lui-même présent, aux côtés de représentants de la Manif pour tous et du Bloc identitaire. Il rompait délibérément la règle républicaine du « cordon sanitaire » autour de l’extrême droite, jusqu’ici à peu près respectée par l’Église catholique. Il prétextait que dialoguer avec des adversaires vaut mieux que les ignorer… Certes, mais il est vrai que Madame Maréchal – Le Pen s’affiche aux côtés des intégristes catholiques et fait ostensiblement le pèlerinage à Chartres, comme aux bons vieux temps de l’Ordre moral. Il est vrai aussi que Mgr Rey, nommé par Jean-Paul II, défend dans le débat public des positions ultraconservatrices en matière de bioéthique et de conception de la famille ; en outre, il pourfend le « relativisme culturel », hérité selon lui de la laïcité. Un tel déportement de l’Église vers les thèses de la droite extrême surprend. Il a d’ailleurs suscité la réprobation des Amis de Témoignage Chrétien et l’inquiétude de nombreux catholiques.
Mais la complaisance de milieux dits progressistes et de gauche à l’égard d’un porte-parole de l’islam radical surprend plus encore : qui ignore que les Frères musulmans sont la force principale du wahhabisme saoudien dans sa pénétration en Occident ? Quel républicain peut pactiser avec ces ennemis de la laïcité, de la démocratie, et de l’égalité des droits entre les sexes ? Aussi, les errements de ces associations, telles la Ligue des droits de l’homme, la Ligue de l’enseignement, ou la Fédération de la Libre Pensée, pour ne citer que les plus importantes, interrogent…, y compris leurs adhérents de base.