L’émergence d’un islam radical ou islamisme défie le modèle républicain.
Comme nous venons de le voir, pendant très longtemps, le débat sur la laïcité a opposé les Républicains progressistes à l’Église catholique, et à certaines fractions du judaïsme, les protestants, eux, soutenant, dès le départ, la loi de Séparation. Mais un tournant historique s’est opéré dans les années 1980 et un nouvel acteur s’est ajouté. L’on a assisté à l’émergence d’un islam prosélyte, alors que jusque-là l’islam, bien présent sur le territoire national, était pratiqué selon les normes républicaines, dans un esprit laïc, pourrait-on dire. Puis, peu à peu, cet islam s’est radicalisé jusqu’à provoquer la folie meurtrière de Mohamed Merah, en 2012, et les assassinats en série de janvier 2015 Cette mutation est le fruit d’une double série d’événements, qui ont conjugué leurs effets.
À l’échelle internationale, à la fin des années 1970, arrivent au pouvoir des chefs d’État ou des dirigeants autocrates, qui vont bousculer le monde issu de la « guerre froide », et l’engager dans un affrontement tout aussi bipolaire, mais infiniment plus dangereux, entre l’Occident et le Proche-Orient. Je n’ai évidemment pas le temps de développer ce thème. Seulement quelques repères. Souvenons-nous : l’ayatollah Khomeiny, fondateur de la République islamique d’Iran, et Ronald Reagan arrivent au pouvoir à la même époque, autour des années 1980. Ici, au Proche- Orient, l’islam devient un projet politique et la charia s’impose. Là, sous l’influence des néoconservateurs américains, largement inspirés par les Églises évangéliques, les États-Unis déclenchent la Guerre du Golfe et, vingt ans plus tard, envahissent l’Irak, sur décision de George Bush. Il n’est pas indifférent d’observer que durant la même période Margaret Thatcher est premier ministre de la Grande-Bretagne, et qu’elle soutient la politique économique et les initiatives belliqueuses des USA.
Et il convient de rappeler qu’au même moment l’Église catholique se dote d’un pape de croisade, Jean-Paul II, et renonce de fait à l’esprit du Concile Vatican II, initié par Jean XXIII. En outre, la flambée du prix du pétrole donne soudainement une influence géopolitique considérable à des pays jusque-là en marge, l’Arabie saoudite et le Qatar notamment. Après l’émergence du chiisme iranien, c’est le wahhabisme saoudien, l’autre grande branche de l’islam, qui soudain cherche à exporter une conception dégradante de la femme et rigoriste de la morale dans l’ensemble des pays arabomusulmans, puis dans le reste du monde. Il y a bien un durcissement historique, à l’échelle de la planète, qui se produit alors, nourrissant les diverses formes de fondamentalisme musulman, puis servant de terreau au djihadisme.
Évidemment, de tels bouleversements trouvent d’autant plus un écho en France, auprès des citoyens de confession de culture musulmane, que notre pays s’est engagé dans la Guerre du Golfe, et n’a évité que de peu de participer à l’invasion de l’Irak ; il faut rendre grâce à ce sujet à la lucidité de Jacques Chirac, alors président de la République. L’itinéraire fou des trois terroristes, les 7 et 9 janvier derniers, montre bien la fascination que ces événements exercent sur des esprits influençables et dépourvus de tout esprit critique. Leur comportement de tueur est d’abord de nature idéologique. Tous les exégètes qui nient cette caractéristique de leur acte, pour mieux en ramener l’interprétation à des causes uniquement socio-économiques, se trompent. Tout comme sont dans l’erreur ceux qui voudraient réduire la nécessaire riposte républicaine à un problème sécuritaire et de forces de l’ordre.
Pour autant, la dimension socio-économique du passage à l’acte ne saurait être ignorée. Elle est même fondamentale, et elle s’enracine dans la vie nationale. Ce n’est pas par hasard si la brutale montée du chômage, à la fin des années 1970, provoque les premières violences dans des banlieues en déshérence. S’ensuit une double réaction bienvenue, mais qui s’est révélée terriblement insuffisante : la mise en place de la Politique de la ville par le pouvoir politique et l’invention de SOS-Racisme par la société civile. Trente ans après, les manifestations violentes, à la limite de l’meute, n’nt cessé de ponctuer notre histoire récente, alimentées par ce qu’ric Maurin a appelé Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social. Ce petit livre, paru en 2004, n’a pas pris une ride, hélas. Et il a été prolongé par l’excellent essai de Christophe Guilluy, Fractures françaises. L’aboutissement de cette dérive, ce sont les événements tragiques de janvier 2015. Mais c’est aussi, et par chance, l’extraordinaire mouvement de mobilisation qui a fait sortir dans les rues et sur nos places publiques tout un peuple qui voulait dire : « Je suis Charlie », « Je suis la laïcité ». À votre façon, vous continuez aujourd’hui à porter ce message de résistance ; soyez en remerciés.
Évidemment, les événements que je viens de rappeler vous donnent une responsabilité particulière dans le rapport que vous entretiendrez, en tant que maires, avec des citoyens de confession ou de culture musulmane – vous noterez que je ne dis pas « les musulmans », une catégorie de population que la République ne saurait dénommer ainsi, sous peine d’adopter un vocabulaire à connotation communautariste. Vous aurez aussi affaire avec les représentants de leur culte, à qui vous rappellerez, si nécessaire, que la laïcité-séparation est notre règle commune. Vous aurez à gérer des cantines scolaires, pour lesquelles se présenteront, peut-être, des demandes de nourriture halal ou casher. Vous rappellerez alors que l’école, sanctuaire de la neutralité et facteur du vivre ensemble, ne saurait distinguer par l’alimentation qu’elle sert des catégories d’enfants, en fonction de leur supposée appartenance religieuse. Et quant à la demande d’exclusion du porc, il existe la possibilité de fournir une alternative, sans que cela affecte tout l’ordonnancement du repas et, a fortiori, la répartition des convives par table. En prenant ces dispositions, vous vous souviendrez que, sur ces nourritures, étiquetées casher ou halal et vendues généralement dans des circuits de distributions spéciaux, il existe le prélèvement d’une dîme qui sert à financer le fonctionnement d’édifices du culte ou l’entretien d’un clergé.
C’est un fait peu connu, et qui pourtant est important, puisque payer cette contribution serait contraire à l’article 2 de la loi de séparation des églises et de l’État et introduirait d’autres demandes de « dispense » fractionnant toujours plus la communauté éducative. S’agissant enfin de l’école, vous aurez sans doute à vous préoccuper, ou même à gérer des conflits, suscités par des familles ou des adolescentes qui refusent l’application de la loi du 15 mars 204, interdisant le port de signes religieux ostensibles dans l’enceinte scolaire, je veux bien sûr parler du voile islamique ici, ou de la kippa, là. Vous aurez peut-être affaire à des animateurs sociaux, recrutés
par la municipalité, et qui se montreront laxistes dans l’application de ce texte, et plus généralement prêts à faire des concessions sur l’égalité des filles et sur le principe de mixité scolaire. Un certain nombre d’entre eux seront animés d’un souci louable : faciliter à tout prix l’intégration d’une population qui se sent marginalisée et qui se réfugie dans la religion comme facteur identitaire. Mais vous ne céderez pas. En effet, toute l’histoire récente, depuis l’affaire du voile de Creil, en 1989, jusqu’à l’adoption de la loi de 2004, montre que l’hésitation, et, a fortiori, le recul des pouvoirs publics en la matière nourrit toujours la pression des islamistes, aggrave les conflits au lieu de les faire disparaître. C’est d’ailleurs une constante, maintes fois vérifiée dans les moments de crise entre les Républicains et l’Église catholique. L’histoire se répète. Évidemment, je n’ai fait qu’effleurer un sujet immense, j’en ai conscience. Mais mon propos n’était pas de traiter de la place de l’islam, que je ne confonds pas avec l’islamisme, dans notre vie quotidienne.
Il était plutôt de montrer ce que doit être l’attitude laïque : considérer toutes les religions, toutes les Églises, au sens large du terme, sur un pied d’égalité, sans préférence aucune pour l’une d’entre elles, mais sans faiblesse aussi, que pourraient nourrir des raisons compassionnelles ou de repentance coloniale. J’ajoute cette dernière recommandation à destination des élus que vous êtes : ne jamais oublier les non croyants, qui, bien que majoritaires, ne demandent rien pour eux-mêmes, si ce n’est le respect de leurs convictions.
Je vous remercie de votre attention.
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