On se souvient de l’étonnante manifestation de soumission, vis-à-vis de l’Église catholique, qu’il avait donnée, lui président de la République, en se rendant à la cérémonie des Bernardins, tout au début de son mandat.
Son geste suscita une large réprobation. Un peu plus tard, il y eut l’annonce en fanfare d’un projet de loi pour « réviser la loi de 1905 ».
Devant la vive hostilité suscitée par son initiative, il a renoncé. Et nous avons salué ce retour à la sagesse et ce respect d’une tradition, qui a fait de la loi de Séparation l’un des fondements de notre démocratie.
Récidive
Or, voilà qu’aujourd’hui il récidive, en programmant un projet de loi sur le Séparatisme. Certes, nul ne peut contester qu’il faille renforcer notre législation, et donc l’autorité publique, contre les dérives de nature religieuse, qui, dans certains territoires, portent atteinte à l’égalité des droits des femmes, au respect des minorités sexuelles, à la libre critique des religions, y compris sous forme de caricatures, etc.
Cette demande est ancienne, et elle a donné lieu au vote de la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école, dite loi sur le Voile, en 2004. Mais alors se pose le problème délicat de l’intitulé du futur texte, et donc de son orientation générale.
Comment énoncer l’objectif poursuivi ? Par quel vocable résumer une situation aussi complexe ? Pendant longtemps, on a parlé de « communautarisme », pour désigner d’un terme générique la multiplication de ces entorses aux normes et aux valeurs de notre République, au sein d’une population le plus souvent en souffrance et vivant dans des quartiers en déshérence, sous influence de l’islam politique. Puis, le procès contre cette dénomination, accusée de stigmatiser une catégorie de Français , appartenant à la minorité musulmane, n’a cessé d’enfler. Et, en février, le président Macron a déclaré qu’il renonçait au mot « communautarisme », et qu’il allait dès lors utiliser le terme de Séparatisme. C’est donc avec cette nouvelle appellation qu’apparaît aujourd’hui le projet de loi, dont le Parlement doit incessamment débattre.
Une faute politique
Or, si l’objectif de renforcer l’autorité de l’État par rapport aux dérives dues à l’islam politique est légitime ─ et il est même urgent, faire voter un projet de loi sur le Séparatisme serait une faute politique.
Pour deux raisons au moins.
D’abord, parce que la terminologie introduit une confusion dangereuse entre le Séparatisme d’origine confessionnelle, ici visé, et la loi de Séparation, qui a pour objectif de tenir les appareils religieux à l’écart du fonctionnement de nos institutions et de leur interdire toute pression sur les libertés individuelles. L’un aliène ; l’autre émancipe. Au bout du compte, c’est le principe de Laïcité qui sortirait affaibli de cette entreprise, ou plutôt de cette méprise. D’ailleurs, les représentants des divers cultes ne s’y sont pas trompés : ils se réjouissent, comme le fait le CFCM (Conseil français du culte musulman), de cette initiative, qui les dédouane de toute responsabilité, par rapport aux manifestations intégristes ou fondamentalistes d’une partie de leurs ressortissants.
Une deuxième raison fait que le terme est impropre : dans le cas présent, il désigne essentiellement l’influence sur notre sol des Frères musulmans, alors que les représentants, en France et en Europe, de cette mouvance de l’islamisme ont au contraire comme objectif de se fondre dans la population, pour mieux faire reconnaître une « communauté musulmane », dotée de ses propres lois, issues de la Charia et qu’elle considère comme supérieures aux lois de la République. Dès lors que faire ?
Tout bien pesé, il me semble préférable d’utiliser le terme de « communautarisme » pour rendre compte des dérives d’une communauté se refermant sur elle-même, à partir de son identité religieuse, qu’elle soit musulmane, évangélique, juive orthodoxe, catholique intégriste, ou qu’il s’agisse d’une secte. C’est la moins mauvaise des solutions, tout en sachant que ce mot-valise nécessite qu’à chaque utilisation les conditions de son application soient clairement définies.
Pas besoin d’un nouveau texte... Les articles de loi existent déjà
Mais cela ne règle pas, bien sûr, le problème de fond, qui est de nature politique : ainsi, à titre d’exemples, comment contrôler l’utilisation de l’argent public versé aux associations, dont le fonctionnement se situe en marge ou en opposition aux lois républicaines ? Ou encore, comment sanctionner le comportement d’imams, financés et détachés sur notre territoire par l’Arabie Saoudite, le Qatar ou la Turquie, dont les prêches incitent les croyants à méconnaître nos règles démocratiques et nos modes de vie ? Je vais surprendre, en disant qu’à mon avis, il ne serait pas besoin d’un nouveau texte. La loi de Séparation des Églises et de l’État fournit le cadre nécessaire, car les républicains du début du XXe siècle s’étaient trouvés, eux aussi, confrontés à un fonctionnement de type « séparatiste », qui était, lui, d’origine catholique. On ne cite généralement ce monument législatif, la loi de 1905, que pour les deux admirables premiers articles, intitulés Principes. Mais ce texte, riche de de 44 articles, comprend aussi de nombreuses dispositions concrètes pour encadrer le fonctionnement des appareils religieux et veiller à ce qu’ils ne détournent pas les fidèles de leurs obligations de citoyens. Ce fut d’ailleurs la discussion de ces articles, explicitant l’application des principes de « liberté de conscience » et de « libre exercice des cultes », posés en tête du projet de loi, qui furent l’objet des débats les plus âpres à la Chambre et qui donnèrent lieu à une violente condamnation du pape, allant jusqu’à l’excommunication des parlementaires qui s’étaient prononcés pour l’adoption. Ces règles de fonctionnement, qu’impose la loi, sont exposées tout au long des six parties, appelées Titres. L’une de ces parties, dénommée « Police des cultes » (Titre V, articles 25-36), fournit un cadre toujours opératoire aux rapports entre Pouvoirs publics et religions. Ainsi l’article 34 stipule : « Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affichettes apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 500 à 3000 Fr. et d’un emprisonnement de un mois ou un an, ou de l’une de ces deux peines seulement ». Ailleurs, article 25, il est précisé que, si les réunions de célébration des cultes peuvent se tenir librement, « elles restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public ». Rappelons, enfin, que le Titre IV, énonce des conditions très strictes pour la reconnaissance par l’État des associations œuvrant dans le cadre d’une institution religieuse. Constatons donc que les pionniers de la Laïcité n’avaient pas hésité à réglementer précisément le fonctionnement des cultes dans une société encore dominée par la puissante l’Église catholique .
Et cela ne se fit pas sans mal : il fallut mobiliser une majorité de Français, pendant une dizaine d’années, et établir difficilement un rapport de forces pour y parvenir, contrairement à la version édulcorée de cette période, que l’on se plaît à raconter dans une certaine gauche. Observons, en outre, que les législateurs utilisèrent alors une formulation qui anticipait volontairement sur l’avenir : « Tout ministre d’un culte », est-il écrit ; et cela répond au pluriel de l’intitulé général : « Loi de séparation des Églises et de l’État », qui avait surpris les observateurs. Dès lors, qu’est-ce qui nous empêche d’actualiser la loi de 1905, en y ajoutant deux ou trois articles supplémentaires, notamment dans la partie « Police des cultes » ? Il ne s’agirait en aucun cas d’une « révision », puisque l’esprit général et le déroulé de l’argumentation ne seraient en rien altérés. Ils seraient même scrupuleusement respectés.
Déposer un texte intitulé : Projet de loi sur les atteintes à la Laïcité.
Mais j’entends déjà l’objection, et elle est forte : il ne faut pas toucher à ce texte consacré par l’Histoire. Alors procédons autrement. Il est possible pour le Gouvernement de déposer un texte intitulé : Projet de loi sur les atteintes à la Laïcité, qui se réfèrerait explicitement à la loi de 1905 et s’inscrirait dans la continuité. Cette démarche aurait plusieurs avantages. En effet, si l’on formulait de cette façon la réponse législative à un problème réel de notre société, l’on aborderait enfin le vrai sujet, celui que le président Macron cherche à éviter par atavisme ou en raison de son éducation : le rôle majeur et irremplaçable du principe juridique de « Laïcité – séparation » dans le fonctionnement de notre démocratie.
Pourquoi contourne-t-il ce débat ? Et, de surcroît, l’on échapperait à la critique de ne viser qu’une seule religion : l’islam. Deux atouts pour l’acceptabilité des mesures votées, alors que le thème est par nature conflictuel. A partir de là, on peut résumer ainsi la problématique qui sous-tendrait le nouveau texte et lui donnerait toute sa portée : Laïcité. Identité(s). Citoyenneté. La même loi pour tous [1].
Autant de termes qui font sens au quotidien, et qui fixent un objectif capable de rassembler la Nation, alors que le terme de Séparatisme confirme les clivages et affaiblit la paix civile. Il est donc urgent de réorienter le projet de loi.
Gérard DELFAU 17-09-20
Ancien sénateur
Directeur de la collection Débats laïques, L’Harmattan, et du site www.debatslaiques.fr
Auteur, avec Martine Charrier, de l’ouvrage Je crois à la politique, 664 pages, L’Harmattan, 2020