"Elle fait du port de voile par ces mères un moyen d’introduire à l’école… un espace particulier pour l’islam – une exception contraire à l’universalisme républicain, contraire à la laïcité, …"
Tribune Dominique Schnapper Présidente du Comité des sages de la laïcité au ministère de l’éducation nationale – LeMonde.fr 08-10-2019
- « Espérons que le principe de neutralité qui régit l’école publique prévale sur le communautarisme »
Dominique Schnapper, présidente du Comité des sages de la laïcité au ministère de l’éducation, considère que les sorties scolaires sont un moment d’apprentissage et doivent être fidèles aux principes appliqués à l’école.
La diffusion, par une association de parents d’élèves, d’une affiche revendiquant la possibilité pour des mères d’élèves d’accompagner, voilées, des sorties scolaires, a récemment relancé le débat sur les modalités de participation des parents d’élèves à ce temps pédagogique.
Depuis toujours les professeurs ont eu à cœur d’enrichir leurs cours en emmenant leurs classes visiter un musée, un monument historique, fréquenter une bibliothèque, voir un film ou une pièce de théâtre. Ces sorties s’inscrivent même dans l’emploi du temps régulier des classes pour les enseignements physiques et sportifs.
À l’école primaire, il est d’usage, depuis longtemps, de faire appel à des parents d’élèves volontaires pour, non pas seulement « accompagner » ces sorties, mais participer à l’encadrement de classes en activité scolaire extérieure. C’est une pratique courante organisée par l’école qui permet de concrétiser un lien avec les parents et de renforcer l’encadrement des élèves par des adultes.
Dès lors qu’ils l’acceptent, les parents savent qu’il ne s’agit pas simplement pour eux de donner la main à leur propre enfant mais de contribuer, sous la responsabilité de l’enseignant, à la bonne marche de l’activité pédagogique : ils ont donc un devoir d’exemplarité dans leur comportement, leurs attitudes et leurs propos.
D’autres que les parents peuvent d’ailleurs intervenir aux côtés des enseignants : autres personnels exerçant dans l’école, délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN) ou volontaires du service civique.
Le bon déroulement de ces séances doit beaucoup à l’observation par les accompagnateurs ou accompagnatrices d’une attitude discrète, garante du respect des consciences : que dirait-on par exemple de parents arborant dans ce cadre des slogans politiques ou publicitaires ? La question dépasse largement celle du voile.
Or l’affiche de la FCPE, diffusée dans la perspective d’élections prochaines, valorise le port du voile. Son contenu a un caractère incitatif, sinon prosélyte, et sa diffusion sème le trouble au sein des associations laïques, y compris à l’intérieur de cette même fédération, certaines sections s’en étant déjà désolidarisées.
« Bon fonctionnement du service public »
Pour rallier des électeurs, l’affiche présente en effet le port du voile par des mères comme allant de soi, une affirmation du libre arbitre de chacune. Elle suggère qu’en interdire la présence dans le cadre d’une sortie scolaire serait une discrimination. Elle érige les mères voilées en porte-drapeau d’une lutte pour la liberté religieuse.
Ne soyons pas dupes : elle fait du port de voile par ces mères un moyen d’introduire à l’école un espace particulier pour l’islam – une exception contraire à l’universalisme républicain, contraire à la laïcité, laquelle garantit la liberté d’opinion, la liberté pour tous d’avoir une religion, de n’en avoir aucune ou encore d’en changer.
La préface du Vade-mecum de la laïcité à l’école, que le Conseil des sages de la laïcité a rédigé aux côtés des directions du ministère de l’éducation nationale, le dit bien en rappelant que « la laïcité est une dimension essentielle de la République en ce qu’elle garantit la liberté, l’égalité et la fraternité. En vertu des lois Ferry de 1881 et 1882 puis de la loi Goblet de 1886, elle fut un principe fondateur de l’école publique ». Ce principe est consubstantiel à l’école. Dès qu’on s’éloigne de son application, on s’éloigne de la République, on va vers une fragmentation communautariste de la société.
Sur la question des sorties scolaires, ce Vade-mecum précise : « Dans toutes les situations, les parents doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme et leur comportement peut être soumis à des exigences liées à l’ordre public, au bon fonctionnement du service ou encore à des impératifs de sécurité, de santé et d’hygiène. Ces motifs peuvent fonder des restrictions à leur liberté d’expression religieuse. »
Le Conseil d’État, saisi par le Défenseur des droits, a considéré, dans une étude du 19 décembre 2013 (qui n’est pas un arrêt et n’a pas de caractère contraignant), que les parents d’élèves avaient la qualité d’usagers du service public et qu’en tant que tels ils n’étaient pas soumis à l’exigence de neutralité religieuse.
Il a néanmoins également précisé que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».
Climat paisible et serein
Au demeurant, une récente décision de justice a donné raison à un directeur d’école qui avait imposé la neutralité et l’absence de tout signe ostensible d’appartenance politique ou religieuse aux parents d’élèves intervenant dans une activité scolaire au sein des classes (cour administrative d’appel de Lyon, arrêt du 23 juillet 2019). Pour distincte que soit cette situation – dans la classe même – de celle d’une sortie scolaire, ainsi que le souligne le Vade-mecum, il nous semble que l’esprit de cette décision devrait être adopté dans les deux cas.
On peut en effet se demander s’il doit y avoir un statut différent entre les activités scolaires qui se déroulent à l’intérieur des locaux et les activités conduites à l’extérieur de ces locaux. La sortie scolaire n’est pas une promenade ou un divertissement, mais un moment d’apprentissage qui confronte l’élève au réel et élargit son horizon culturel. Faire que tout ce qui ressortit à l’obligation scolaire fonctionne avec les mêmes principes, quel que soit le lieu de déroulement de l’activité, est un facteur de stabilité pour l’école, ses personnels et les élèves.
Si l’on ne saurait, en l’état actuel du droit, interdire à des mères d’élèves de participer à l’encadrement d’une sortie scolaire sous le seul motif qu’elles portent un voile, on peut toutefois espérer, pour le bien de l’école et pour y garantir le climat paisible et serein dont elle a besoin, que le principe de neutralité qui régit l’école publique prévaudra sur les tentatives de dévoiement communautariste.
Dominique Schnapper est sociologue, directrice à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et ex-membre du Conseil constitutionnel. Elle préside le Comité des sages de la laïcité au ministère de l’éducation nationale.