Guy Georges, notre ami, est décédé le 3 février 2018. Il nous avait envoyé, le 31 janvier, une note dénonçant le dernier en date des errements du parti socialiste en matière de laïcité.
Guy était né le 22 octobre 1928, à Biesles (Haute-Marne),
d’une mère gantière et d’un père ouvrier coutelier, meilleur ouvrier de France en 1937, une distinction dont son fils resta toute sa vie immensément fier.
Elève brillant … et turbulent, reçu premier du canton au certificat d’études, son instituteur, Monsieur Larcher, convainc ses parents de ne pas lui faire suivre la voie traditionnelle vers l’usine, mais de l’envoyer au cours complémentaire, qui peut ensuite le mener jusqu’à l’Ecole Normale ; de 1945 à 1949, Guy suit les cours de l’Ecole de Chaumont. A sa sortie, après un détachement à la Fédération des Œuvres Laïques du département où il anime l’UFOLEA (Education Artistique), il est nommé instituteur à Lanques, puis à Nogent où il enseigne le français, la musique, le dessin, et où il dirige l’Harmonie municipale.
Guy en effet n’est pas qu’instituteur ; il excelle en sport (champion de Champagne du 400 mètres haies, volleyeur, handballeur), en musique (clarinettiste amateur de haut niveau, chef d’un orchestre qu’il a mis sur pied à l’EN de Chaumont), en dessin aussi. Et comme toutes ses activités ne suffisent pas à combler son appétit de vie, s’étant lancé dans l’activité syndicale dès sa quatrième année à l’Ecole Normale, il exercera des responsabilités de niveau croissant au Syndicat National des Instituteurs (SNI) : en 1962, il est membre du Bureau départemental, chargé des jeunes ; de 1964 à 1970, il devient secrétaire général de la section de Haute-Marne, en demi-service d’enseignement.
Elu au Bureau national en 1969, chargé du secteur pédagogique, il y est détaché à plein temps à partir de 1970. En 1976, et jusqu’à sa retraite en 1983, il est le secrétaire général du Syndicat.
A peine a-t-il rendu son tablier que le gouvernement le sollicite pour entrer à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) où il siège de 1984 à 1989 puis de 1992 à 1994. Il est Conseiller d’Etat en service extraordinaire de 1988 à 1992, membre, enfin, de la section du Travail du Conseil Economique et Social de 1994 à 1996.
Enseignant convaincu que l’Ecole est la condition sine qua non de l’émancipation individuelle, Guy joue un rôle capital dans l’élaboration puis la mise au point du projet d’« Ecole fondamentale de la maternelle à la fin du collège », adopté par le SNI en 1971 au Congrès de Nantes, complété en 1973 au Congrès de Pau et par les sessions d’études de 1972 et 1974. Une plaquette qu’il rédige avec Pierre Chevalier est diffusée à plus de 20 000 exemplaires. Pour la promotion du projet, il recueille l’avis de personnalités dont trois Prix Nobel, Alfred Kastler, René Cassin, François Jacob.
A partir de 1959, pendant la guerre d’Algérie, il avait animé le Comité départemental de lutte pour la défense des libertés qui rassemblait des partis de gauche, les organisations syndicales du département, et des associations comme la Ligue des Droits de l’Homme. Il tira de cette expérience une conviction profondément enracinée : l’unité est possible sous réserve de précautions.
Syndicaliste, il est convaincu que l’unité syndicale doit être systématiquement recherchée, mais qu’elle ne peut être atteinte que sous la stricte condition d’une indépendance absolue vis-à-vis de tout parti politique. Face aux refus de la CGT et de la CGT-FO, il est le principal rédacteur d’un appel à l’unité cosigné par la Fédération Autonome des Syndicats de Police, le Syndicat National Unifié des Impôts, la Fédération Générale des Syndicats de salariés des Organisations Professionnelles de l’Agriculture et de l’Industrie agro-alimentaire et le Syndicat National des Journalistes.
Ces efforts ne déboucheront pas. Au niveau européen en revanche, il parviendra à fédérer, au sein du Comité Syndical Européen de l’Education (CSEE), les 58 organisations syndicales européennes affiliées aux trois internationales d’enseignants : Confédération Mondiale des Organisations de la Profession Enseignante (CMOPE), Syndicat Professionnel International de l’Enseignement (SPIE), Confédération Mondiale du Travail, chrétienne (CMT). Le CSEE sera reconnu par la Commission Européenne et la Confédération Européenne des Syndicats.
Ce talent de négociateur et de conciliateur hors pair, il sera demandé en 1984 à Guy de l’exercer comme président du Comité de Coordination des Œuvres Mutualistes et Coopératives de l’Education Nationale (C.COM.CEN), créé par Denis Forestier pour éviter que, dans leur fonctionnement courant, les structures créées par le SNI et ses militants (MAIF, CASDEN, MGEN, MRIFEN, CAMIF) n’empiètent les unes sur les autres. Très vite, le C.COM.CEN, conçu au départ pour servir de bureau de liaison et de conciliation entre les « cinq éléphants », s’étend à une quarantaine d’organisations.
Au sein de ce Comité, James Marangé avait lancé Solidarité Laïque en l’ouvrant à des organismes sans relations avec l’enseignement, tels que la CGT-FO ou le Grand Orient. Il reviendra à Guy d’en faire la grosse ONG qu’elle est devenue, sous l’impulsion notamment d’Yves Nicolas, futur président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Cette association qui « végétait un peu, qui cherchait sa place, d’un seul coup, Nicolas l’a fait basculer dans le professionnalisme. » Solidarité Laïque intervient aujourd’hui principalement dans l’aide à l’installation de structures scolaires dans des pays du Tiers Monde.
Autres activités internationales : en 1980, le SNI co-organise à Tel-Aviv un séminaire contre le racisme, l’antisémitisme et les violations des droits de l’homme ; Guy y présente la résolution finale. En 1981, il organise à Tunis, en collaboration avec le Syndicat des ensei-gnants tunisiens, un colloque pour la paix au Proche-Orient. En 1982, il est invité à Hiroshima à une Conférence mondiale sur le désarmement organisée par le NIKIOSO, principal syndicat des enseignants japonais. Dans cette période encore, le SNI-PEGC manifeste son ferme soutien aux syndicalistes en butte à la répression, Solidarnosc bien sûr, ou encore le secrétaire général du syndicat des enseignants d’Uruguay.
Au total, du début à la fin, ce fut une vie pleine, une vie de lutteur : en 2010 encore, Guy est le concepteur, l’initiateur et le coordonnateur national de l’opération Aux Arbres, Ci-toyens, incitant chaque commune à planter un arbre de la laïcité. En 2012, quand il estime sa mission accomplie, le relais étant pris par les DDEN, près de 1 000 arbres ont été plantés dans 70 départements.
Il connaissait la déception, pas le découragement, même face aux reniements les plus douloureux, tel celui du PS au pouvoir en 1981 qui, après avoir élaboré de son côté un projet d’école émancipatrice, Libérer l’Ecole, très proche de celui de l’Ecole fondamentale, ne lui donna pas suite une fois au gouvernement. A l’évocation de ce renoncement, il y avait chez Guy de la colère et de la frustration mais pas d’amertume, au moins apparente.
Sur la brèche jusqu’à la fin, sa philosophie était à la fois simple et d’une totale exigence : cent fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Guy était une belle personne. Fidèles à sa mémoire, nous ferons de notre mieux pour suivre son exemple.