1 •► Je ne peux pas me résigner au silence qui entoure le 40e anniversaire du 10-Mai 81.

, par Gérard DELFAU

Je ne peux pas me résigner au silence qui entoure le 40e anniversaire du 10 Mai 81.
Comme si l’un des grands moments de notre histoire républicaine n’avait jamais existé. Comme si la fin du giscardisme n’était qu’un épisode secondaire, et l’élection de François Mitterrand, porte-parole de l’Union de la gauche, une péripétie dans les conquêtes sociales et le droit du Travail, dans les progrès de la condition féminine et de la décentralisation, ou encore, dans l’administration de la Justice, qui a connu l’abolition de la peine de mort, et dans la construction de l’Union européenne, etc. En fait, il n’est pas un secteur de notre vie quotidienne, qui ne porte l’empreinte de l’homme politique, dont il convient, semble-t-il, de ne pas parler dans les milieux dirigeants.
Et s’il n’y avait que le silence… Le nom de François Mitterrand est-il absent des médias ? À vrai dire, pas complètement : il y a la misérable diatribe d’un Michel Onfray, l’homme de tous les reniements.
Mais surtout, quand son nom apparaît, c’est pour une mise en cause injustifiée de son rôle dans l’attitude de la France lors des massacres des Tutsis au Rwanda, une page sombre, dont il porterait la responsabilité, alors qu’Édouard Balladur était premier ministre et Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères. L’ONU, paralysée par ses contradictions, les grandes puissances, comme les États-Unis, se tenant délibérément à l’écart du conflit, n’auraient commis aucune faute.
En 1998, Paul Quilès  [1], ancien ministre et qui est alors Président de la Commission de la Défense nationale à l’Assemblée, a établi la réalité complexe de cette tragédie, au terme de l’enquête parlementaire, qu’il a dirigée ; or, il y fait litière de ce mauvais procès à l’encontre de François Mitterrand. Mais qui veut bien se référer à ce document ? L’Institut François-Mitterrand vient de publier une Déclaration, [2] en forme de mise au point, suite au Rapport Duclert. Mais qui en parle ? [3]  [4] Surtout pas les grands médias, encore moins les losers d’une gauche trotskiste ou bobo, infatigables donneurs de leçons, tel Raphaël Glucksmann, Monsieur 6,1%. L’occasion de tenter de discréditer l’héritage des deux septennats de François Mitterrand leur est fournie sur un plateau. Ils s’en emparent.

Et nous laisserions faire ? Nous resterions muets ?
J’avais déjà mesuré le poids des courants hostiles à la mémoire de François Mitterrand, à l’occasion de l’ouvrage Je crois à la politique, que nous avons écrit, Martine Charrier et moi, et publié en plein confinement.
Il comportait une belle Préface, consacrée à la Laïcité et signée par Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre. Lors de la parution, il y eut quelques réactions sur des sites associatifs, toutes très positives, mais aucune dans la presse nationale, ni écrite, ni audio-visuelle. J’en fut attristé. Mais après tout, cela ne concernait que moi ou que nous.
En revanche, occulter le souvenir du 10 Mai 81, en cette date symbolique : 40 ans déjà, est d’une autre importance. Ce silence a une signification politique, et pas seulement à droite. C’est pourquoi, j’ai décidé de réagir.
Sur mon site Débats laïques, dont j’assume seul la responsabilité, j’ouvre une série de chroniques, où alterneront des souvenirs, des témoignages et des propositions.
Oui, des propositions pour rebâtir une gauche moderne, écolo-socialiste, car ma démarche n’est pas celle d’un ancien combattant ou d’un archiviste. Elle est celle d’un militant, qui voudrait contribuer à écrire, avec d’autres, un « Manifeste pour l’avenir ». Un nouveau « Programme commun des forces progressistes », en somme, pour que renaisse l’espoir.

Gérard DELFAU
Ancien sénateur
Directeur de la collection Débats laïques, Éditions L’Harmattan
http://www.debatslaiques.fr/
15 avril 2021

p.145. Le 10-Mai : l’alternance démocratique enfin réalisée

« Martine Charrier. Mais revenons à 1981. Le soir du deuxième tour, à 20 heures, dans la petite salle à manger Henri II de vos parents, à Saint-André, vous voyez, comme des millions de Français, se dessiner le portrait du vainqueur à la télévision. Moment intense.
Gérard Delfau. Ainsi, François Mitterrand, au terme de trois tentatives électorales, a réussi son pari et accompli son destin.

Grâce à lui, la France rejoint le groupe restreint des pays où se pratique une alternance démocratique apaisée. On ne dira jamais assez que c’est le legs décisif, historique même, du député de la Nièvre à notre vieille nation, si souvent secouée par des révolutions ou des querelles intestines, parfois sanglantes. Plus que par les avancées sociales, les nationalisations, la décentralisation et l’abolition de la peine de mort – progrès pourtant considérables – le 10 Mai 1981 se caractérise par ce fait capital : l’alternance démocratique est enfin devenue possible. Mon propos peut surprendre. Je vais donc préciser ce que j’entends par là. À ceux qui aujourd’hui m’interrogent, sceptiques, amnésiques ou revanchards, sur ce que nous devons à François Mitterrand, j’ai coutume de répondre : la gauche enfin admise à la gestion des affaires publiques, autrement que sous forme d’une « expérience », comme au temps de Léon Blum, ou bien telle une béquille de la droite, comme sous Guy Mollet. En définitive, une assurance de paix civile, le bien le plus précieux d’une nation. »

Extrait de Je crois à la politique, chapitre « Le choc du 10 Mai », p. 145, Éditions L’Harmattan, 2020