Pour ouvrir la collection Débats laïques, il fallait un ouvrage d’ensemble, offrant une vision historique et synthétique de la Laïcité. Quand j’ai commencé à l’écrire, en février 2015, nous étions dans la stupeur des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher. Bientôt viendra, à la rentrée, la tuerie du Bataclan. Une phrase me hantait : « Ils ne peuvent pas être morts pour rien [1] ».
Je n’en étais pas à ma première publication sur cette thématique, mais j’ai voulu cette fois prendre de la hauteur, élargir le débat, dépasser le récit classique du vote de la loi de Séparation, objet de mon premier livre, Du principe de Laïcité [2]. Un combat pour la République .
- Un acte souverain de la République
En effet, je suis convaincu que « La laïcité, c’est plus que la Séparation », même si la loi de 1905 en est une étape déterminante, ou plutôt le fondement.
Je me démarque ainsi de tous ceux qui veulent réduire la Laïcité à sa signification juridique et institutionnelle, et le concept de Séparation à la notion de « Pacte », alors qu’il s’agit d’un acte souverain de la République.
- La Laïcité est un processus historique, de longue durée, multiforme et par nature inachevé.
Il s’étend sur plus de deux siècles, depuis la Révolution française, jusqu’à la loi Veil dépénalisant l’IVG, en 1975, et la loi Taubira autorisant le Mariage de couples de même sexe, en 2013, ou la loi Leonetti sur la Fin de vie, en 2016, en passant par les grands textes de la IIIe République, socle de notre démocratie : entre autres, les lois Ferry-Goblet sur l’École publique, les lois sur les obsèques civiles et la municipalisation des cimetières, la loi sur la liberté de la presse et l’abolition du délit de blasphème, la loi de Séparation, en 1905, sans oublier l’Arrêt Bouteyre, en 1912, qui consacre la neutralité de la Fonction publique. Le tout forme ce que j’ai nommé : Bloc législatif de Laïcité ; et il n’est pas figé, comme le montre le débat sur l’extension de la PMA.
- Cette exception française
J’ai voulu traiter, fût-ce brièvement, dans le même livre, toutes ces avancées sur le chemin de l’émancipation des consciences et la conquête des libertés individuelles,
notamment pour les femmes et les minorités sexuelles, en dépit de l’opposition des appareils religieux. Avec la loi de Séparation, ce sont-là les principaux éléments constitutifs de la Laïcité, cette « exception française ».
- Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’universalisation du principe de Laïcité
Je tenais, enfin, à rappeler que nous en avons fini avec cette quiétude, qui caractérisait la place de la religion dans notre société après Mai 68 et la vague de sécularisation.
Depuis, la situation a changé : la polémique récurrente sur le foulard islamique, les cortèges intégristes de la Manif (dite) pour tous, et infiniment plus graves, les attentats terroristes islamistes, nous obligent à revoir notre rapport à la religion, en France, et à élargir notre réflexion à la dimension internationale, notamment aux conflits sanglants qui déchirent le Moyen-Orient et l’islam. D’où ce constat, que je fais en conclusion :
« L’enjeu de la Laïcité est à la mesure d’un risque de conflagration mondiale […].
Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’universalisation du principe de Laïcité ou la généralisation des guerres de Religion, comme au XVIe siècle, mais, cette fois, à l’échelle de la planète ».
Tel est le défi du XXIe siècle, et nous devons l’affronter lucidement. Mais, attention, il ne faut pas confondre la masse des croyants qui pratiquent leur culte de façon républicaine, quelle que soit leur confession, avec les petites minorités qui ont cédé à une conception fondamentaliste ou intégriste.
La très grande majorité des Français applique la maxime que formule le titre l’ouvrage de Monique Cabotte–Carillon : Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours [3]. Cette règle de vie assure la paix civile et la Liberté de conscience, conditions de la démocratie.
10 décembre 2019
- Nous en avons fini avec cette quiétude...
je tenais à faire comprendre combien nous en avions fini avec cette quiétude, qui caractérisait notre rapport à la religion, depuis Mai 68, et la vague de sécularisation, qui avait affaibli l’Église catholique.
Je voulais, enfin, marcher sur la ligne de crête, celle des pionniers de la Laïcité-séparation, il y a plus d’un siècle : je refusais toute complaisance envers les dérives communautaristes, suscitée par la diffusion de l’islam politique et entretenues à gauche par les thèses dites « racialistes ».
Bien sûr, je récusais ; plus énergiquement encore, le racisme anti-Français musulmans, que l’extrême droite tente de dissimuler sous le nom de Laïcité. Une escroquerie.
- Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours.
Peu à peu, au fil des interventions, j’ai appris à clarifier les points controversés ; et à repérer les pièges. Et progressivement, je me suis donné quelques règles à respecter dans tout exposé.
D’abord, rappeler d’entrée de jeu qu’il ne faut pas confondre la masse des croyants, qui vivent leur culte de façon républicaine, quelle que soit leur confession, avec les minorités qui ont cédé à une conception intégriste de leur religion.
La très grande majorité des Français applique la règle de vie que formule le titre l’ouvrage de Monique Cabotte–Carillon : Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours. Rappeler en préambule cette évidence, c’est se mettre en mesure d’aborder dans les meilleures conditions l’article premier de la loi de Séparation : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes [...] ».
- Les intégrismes partagent la même nature, la même volonté de discrimination ou de domination.
La deuxième règle est tout aussi impérative : elle consiste à ne jamais traiter séparément telle ou telle religion, par exemple se focaliser sur les manifestations de l’islam radical, même si l’actualité pourrait nous y éconduire.
Je considère que les formes intégristes des religions, catholique protestante, judaïque, musulmane, sont de même nature, même si elles ne sont pas, évidemment, d’égale gravité et de mêmes conséquences. Chacune d’entre elles exprime le refus de l’Autre, de son égale dignité, quelle que soit sa croyance, son statut social, ses origines ethniques. J’ai bien dit : tous les intégrismes partagent la même nature, la même volonté de discrimination ou de domination. Mais je ne confonds évidemment pas les manifestations de ce sectarisme. Entre les massacres perpétrés par des fanatiques musulmans ou hindouistes, sur d’autre population, qui ne partage pas de croyance, et les cortèges de la Manif dite pour tous, bénis par les dignitaires de l’Église catholique, il y a évidemment une différence fondamentale, celle du sang versé.
Mais les homosexuels, ainsi visés, en France, ne sont-ils pas menacés dans leur liberté ou dans leur vie sous d’autres régimes ? Et il ne faudrait pas s’exonérer trop facilement des pages sombres de notre histoire, celles de l’Inquisition ou des massacres des cathares ou des protestants par l’armée du Roi, à la demande du pape.
- Les idées-forces sur lesquelles j’ai bâti […] la collection Débat laïques, et le site du même nom.
La troisième règle, c’est d’avoir une vision historique, et non figée, de la Laïcité, de considérer qu’il s’agit d’un concept en mouvement, épousant les évolutions de notre société. J’ai l’habitude de le définir ainsi : C’est un processus historique, de longue durée, multiforme, et par nature inachevé. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas considérer comme des héritiers, dans ce domaine. Ou, plus exactement, si héritage il y a, il nous appartient de le faire fructifier pour le transmettre plus riche encore à nos enfants.
Voilà les quelques idées-forces sur lesquelles j’ai bâti peu à peu mes interventions, mes livres, la collection Débat laïques, et le site du même nom. Ce sont-elles que nous allons retrouver dans un survol de l’ouvrage : La Laïcité, défi du XXIe siècle.