Isabelle de Gaulmyn et moi, nous n’avons pas grand chose en commun.
Elle est issue d’une famille de la bourgeoisie lyonnaise, et je suis né dans une famille modeste, au cœur de la Vallée de l’Hérault.
Elle revendique haut et fort son catholicisme, et j’ai coutume de me présenter comme un athée paisible. Elle a écrit une biographie sur Benoît XVI, le pape incompris, et je ne cesse de raconter la grandeur de la loi de Séparation.
Elle est journaliste et rédactrice en chef adjointe à La Croix, et j’ai créé la collection Débats laïques chez L’Harmattan. Nous nous sommes d’ailleurs poliment affrontés, il y a deux ans, lors du « 28 minutes » d’Arte.
Elle y défendait avec talent le Concordat et l’école privée confessionnelle. J’argumentais avec fougue en faveur de Voltaire, de l’école publique et du grand tournant de 1905. Au fond, nous représentions les deux grandes traditions qui ont fait la France.
Si j’ai tenu à établir ces différences, cette distance entre elle et moi, c’est pour mieux faire saisir l’importance que j’accorde à son dernier ouvrage : Histoire d’un silence, où elle montre, preuves à l’appui, que l’Église a délibérément couvert, depuis les années 1980 jusqu’aux années 2000, les agissements d’un prêtre pédophile du clergé lyonnais, et où elle pointe la cécité ou la complaisance, dont a fait preuve à ce sujet le cardinal Barbarin.
Il fallait un courage peu commun à Isabelle de Gaulmyn, une droiture de caractère, une forme d’inflexibilité même, pour donner à lire au grand public les résultats d’une enquête sur cette face sombre de l’Église de France, après que l’Irlande et les États-Unis ont connu de semblables turpitudes, et ont subi les mêmes atermoiements.
Elle a voulu tourner la page, obliger les catholiques à un examen de conscience, rendre impossible le retour de tels errements au sein de leur Église. Et c’est impressionnant. Il lui arrive même de s’interroger sur la cause profonde d’un tel comportement et de mettre en question la « sacralisation » du prêtre. Certains passages ont des accents qui rappellent la Réforme protestante. Mais ici je m’aventure en terrain mal connu…
Alors, se demandera-t-on, a-t-elle eu l’audace d’aller jusqu’au bout ? Hélas, non, puisqu’elle n’ose pas tirer cette conséquence de bon sens : le cardinal Barbarin aurait dû se retirer après un tel fiasco ; et le pape aurait dû l’appeler à Rome pour y jouir d’une sinécure, au lieu de le conforter.
C’est en tout cas ce que j’aurais écrit en conclusion de ce livre remarquable, où elle brise un silence assourdissant, ce qui est déjà beaucoup.
Gérard Delfau, le 18-10-2016